La Bonne Grosse Sieste

Alors là, les gars. Je suis mal.
Très mal.
Pire que le frisé dans le pub LIDL. Pire qu’un vegan dans un rayon charcuterie. Pire qu’un lycéen qui sort d’une hibernation de 3 ans le jour du bac.

Je suis MAL.

Je vais le dire maintenant comme ça, ce sera fait : tonton Steven s’est planté.

Voilà.

Ouille, ça pique. Je sais.

Je suis infinie tristesse de devoir étaler ici, sur ce blog, que « Le Bon Gros Géant » est une œuvre assez CHIANTE (le mot « chiante » méritante ici ses majuscules).

Et le pire dans tout cela est que je ne m’explique pas pourquoicommentpourquoi tonton Steven en est arrivé là.

Sans déconner, Steven ! Tu es « Indiana Jones », « Jurassic Park », « Hook » (j’y reviendrai…), « ET », « Tintin », « Cheval de Guerre » ! S’il y a un mec, un seul, sur cette planète, qui maitrise à la perfection l’art de divertir et d’émerveiller à tout âge en amenant une vraie proposition de cinéma, c’est bien toi !
Qu’est-ce qui a bien pu se passer ici pour aboutir à ce film aussi plastiquement irréprochable qu’il est atone d’un bout à l’autre et surtout atrocement mal rythmé ?

EH BEN JE SAIS PAS, MAIS CA FAIT PAS PLAISIR.

« Le BGG » raconte l’histoire de Bérangère #sijeveux, incarnée par l’enfant que conçurent Paula Patton et Dominic Cooper sur le tournage de « Warcraft », et qui deux heures durant mettra au service du film son IMMENSE TALENT#TULASENSLIRONIE ???
Bérangère donc, est orpheline et insomniaque, supeeeeeerbe combo qui lui permet un soir vers trois heures du matin, de croiser le regard d’un fuckin’ géant qui se promène toutes les nuits tranquille dans les rues de Londres. Le genre de mec que Solid Snake doit trouver assez agaçant.
Alors là, je m’adresse à toi lecteur, imagines, tu regardes par la fenêtre et tu tombes nez à nez avec un géant, un vrai, qui se met aussitôt à tracer dans ta direction… Qu’est-ce-que tu fais :

A-Je cours le plus loin possible de la fenêtre, genre vers un téléphone et j’appelle le raid.
B-Je me cache sous ma couette, cise sur mon lit, cis à 20 cm de la fenêtre. Qui est grande ouverte.
C-Je mets mon clignotant.

Note que je ne propose même pas une option « Obi Wan Kenobi » tant c’est superflu.

Bérangère découvre à ses dépens que son l33t sk1ll en camouflage est à l’image de la tension de ce film : inexistant. Kidnappée par le géant, elle découvre alors son pays, plutôt sympa d’ailleurs, où vivent d’autres créatures comme lui mais plus grandes et carrément plus stupides. Entre deux scènes où le Bon Gros Géant se fait bolosser par ses camarades du régiment, Bérangère découvre les merveilles de ce pays magique, qui claquent bien sur l’écran mais bon… Puis parce « qu’il faut que ça cesse, mayrde », elle s’introduit dans Buckingham Palace pour solliciter l’aide de la reine au terme d’une scène d’environ 16 heures où ils prennent tous le petit déjeuner, scène se concluant de manière PAS DRÔLE pour enfin conduire tout ce petit monde vers un final expédié en deux secondes, hop et après c’est déjà fini, tu peux te réveiller et sortir de la salle pour aller à ton vrai dodo.

Alors oui, dans les graaaaaaandes lignes, on retrouve bien lee roman de Roald Dahl, ça, pas de souci. Et c’est bien là le malaise. On retrouve le roman. Mais on a du mal à y dénicher un film. Et que ce manque d’âme nous vienne d’un film de Spielberg a de quoi étonner et interroger sur les conditions de production du bouzin.
Et encore, je dis ça… Sous-entendre que « Le BGG » serait un film de commande dans lequel Spielberg ne se serait que moyennement impliqué afin de le dédouaner de ce passage à vide est une excuse qui fonctionne moyennement dès lors que l’on parle d’un mec qui a réalisé « Jurassic Park » parce qu’on le lui avait demandé mais qu’en fait, tout ce qu’il voulait lui dans son petit cœur, c’était s’atteler à la « Liste de Schindler ».

Ceci dit, à l’âge qui est le sien et au sein d’une filmographie comme la sienne, Tonton Steven peut se permettre ce genre d’erreur de parcours, considérant que bon, déjà, ce ne sera pas la première, et que comparativement cette fameuse première erreur, « Le BGG » a juste pour défaut d’être long et chiant.


SI TU VOIS CE QUE JE VEUX DIRE

J’en vois déjà qui s’étonne que la « première » erreur ne soit pas en forme de « Hook ». Le fait est pourtant que la comparaison n’a pas lieu d’être et que cette dernière ne pourrait en aucun cas se faire en défaveur de la version de « Peter Pan » de Spielberg.
Non seulement « Hook » réussit-il à être un très joli film d’aventure dont la naïveté visuelle et les partis pris servent totalement un propos dur et souvent triste, le fond et la forme jouant perpétuellement en contraste l’un de l’autre. Spielberg rendait parfaitement justice aux héros de J.M. Barrie en conservant au cœur de son film l’esprit de ses écrits. On peut s’attarder des heures sur la baston de bouffe en plâtre coloré, le jeu totalement over ze top de Dustin Hoffman, « Hook » n’en reste pas moins un très beau conte sur ce que signifie être un adulte, le ré-enchantement, le temps qui passe et emporte tout.

Grandir, trouver sa place dans le monde sont des thèmes que l’on retrouvera dans le « Bon Gros Géant » mais le film ne semble jamais les créer, se contentant de les voir exister au sein de l’œuvre adaptée.
Pire, Spielberg, qui pourtant n’a jamais rechigné à se montrer cruel dans ses œuvres ouvertement destinées à la jeunesse, renonce ici à tout aspérité, occultant totalement des éléments aussi essentiels que les rapts d’enfants et surtout le fait que les géants les mangent. Tout ceci est purement et simplement absent à l’écran, simplement évoqué au détour de dialogues. L’unique vision cauchemardesque du film tient en une séquence de rêve dont la nature dédramatise illico le cannibalisme.
Si on ajoute à cette ellipse le fait que les géants sont présentés comme une bande de grands abrutis congénitaux, il devient difficile de ressentir le moindre danger ou la plus petite urgence. La séquence où le BGG et Bérangère amène un cauchemar à la reine aurait pu être l’occasion, un peu trop tardive mais bon, de présenter la menace de façon claire, mais là encore, rien, le personnage se contortionnant simplement sur son lit en meuglant « ouhlala non, c’est horrible, bring me a nice cup of tea ».
De la même manière, dans une scène, l’héroïne choisit des vêtements dans une malle chez le géant. Elle y découvre des monceaux d’habits et n’en prendra que deux. A aucun moment elle n’interrogera le géant sur le contenu de cette malle. Seul un enfant pensionnaire du BGG sera évoqué par la suite. Je doute que le tout jeune public du film ait pu comprendre à ce moment-là que le géant n’avait pas eu un mais plusieurs petits compagnons avant Bérangère. Pour le coup, un simple dialogue, ou une scène appuyée de la petite fille contemplant des vêtements de différentes époques, masculins et féminins, aurait pu faire passer le message : le BGG a eu d’autres enfants à sa garde et tous se sont faits dévorer par ses frères.

Comme je sens vos réserves poindre, je précise tout de suite que non, je n’aurais pas préféré que Spielberg nous montre des géants en train de mettre en pièce des enfants avant de les dévorer, surtout pas dans un film supposé s’adresser en grande partie au jeune public. Mais je suis assez confiante en son talent pour lui faire comprendre cet aspect de l’histoire sans pour autant le traumatiser. Si on reprend l’exemple de « Hook », ce film comporte entre autres choses la mort d’un enfant perdu, Rufio, tué sous les yeux du public d’un coup de sabre en plein buffet, et une scène entière de mise à mort par torture quand Crochet fait enfermer un pirate dans un coffre avec des scorpions.

Au manque d’enjeux clairement posés s’ajoute les problèmes de rythme du « BGG ». L’introduction est très rapide, et semble même manquer d’exposition. Peut-être est-ce une volonté du réalisateur que de très peu caractériser Londres et l’orphelinat, afin de donner plus de crédibilité au pays des géants, où semble débuter l’histoire, mais le corolaire est qu’on ne connait pas l’héroïne lorsque débute son aventure. Elle ne sortira jamais de son rôle de gamine arrogante et manipulatrice, sans jamais acquérir de réelle profondeur. Sa solitude ou sa détresse d’orpheline sont des paramètres absents, d’autant plus que le jeu de la jeune actrice plafonne à « Spielberg Face permanente » (je la soupçonne d’avoir aussi des gènes de Kristen Stewart, qui l’empêchent de fermer la bouche).
Tout le contraire de Mark Rylance (l’agent russe du « Pont des Espions »), extrêmement touchant dans le rôle du BGG, apportant au personnage son jeu tout en finesse, capable de laisser passer une infinie tristesse pendant quelques secondes avant d’emporter toute la salle avec lui dans une explosion de joie (d’ailleurs c’est QUAND la saison 2 de « Wolf Hall » ?). Ayant vu le film en VF, c’est donc sa version doublée par Dany Boon dont j’ai pu juger, et même si je savais parfaitement qui était dernière la voix, je l’ai très rapidement oublié. Même s’il est de bon ton de mépriser le réalisateur de « Bienvenue chez les Ch’tis », Boon possède une réelle subtilité dans l’interprétation, et son amour pour les personnages cartoonesques en faisait un choix pertinent pour le Bon Gros Géant.

Après la longue séance centrale au pays des géants, le film semble se caler sur un rythme languissant, privilégiant de longues scènes très détaillées au dynamisme. Ce choix s’entend puis qu’il se calque sur l’éternité de la vie des géants, mais nuit au final à l’urgence de la situation telle que dépeinte dans l’histoire. La deuxième partie du film, à Buckingham souffre terriblement de ce choix. Ce retour au monde des humains part pourtant très bien, malgré cette manie qu’à Spielberg dans ce film à tout détailler image par image (la scène du réveil de la reine est pour le moins laborieuse). Pour la première fois, le géant entre dans le monde des adultes, et pas n’importe lesquels puisqu’il amène sa fantaisie (dans tous les sens du terme) au sein de l’institution la plus formaliste et guindée qu’il soit, la cour d’Angleterre. Les rituels de cette dernière sont d’ailleurs bien décrits à l’image, mais là encore, le choix de Spielberg de conserver une extrême lenteur dans l’introduction de ces éléments étire ce passage jusqu’à atteindre le point de saturation. La longue pause royale dont le point d’orgue est l’interminable scène du petit déjeuner, possède malgré tout l’ambiance la plus réussie du film entier, illustrant à merveille (et mieux, quelle ironie, que la scène de l’arbre des rêves) le concept d’enchantement.

Spielberg, à ce moment comme dans tout le film d’ailleurs, s’amuse du jeu des échelles entre géants et humains, le film fourmille de trouvailles et d’astuces pour rendre crédible ce décalage des tailles.
Ce souci constant de rendre ludique les différentes échelles en jouant sur les cadrages, les accessoires, les interactions entre les personnages est une des plus grandes richesses du film, et sans doute aussi une de ses plus belles réussites. Avec sa beauté plastique incontestable, en partie l’œuvre du génie Januzs Kaminski, l’autre meilleur truc jamais produit en Pologne avec « The Witcher ». Collaborateur de longue date de Spielberg (depuis « La Liste de Schindler », pour être précise), Kaminski travaille quasi exclusivement avec Tonton Steven depuis le début des années 90 en tant que directeur de la photographie, composant pour lui des ambiances visuelles radicales et explicites, comme c’est à nouveau le cas ici. Du Londres anthracite baigné d’une atmosphère bleutée à la minéralité primordiale du monde des géants nimbé de lumières d’or et d’argent, jusqu’à l’arbre des rêves lorgnant forcément et logiquement du côté de la bioluminescence de Pandora (œuf corse, mais bon, tout le monde say tray bien qu’ « Avatar » n’a laissé aucune postérité au septième art ).

« Le Bon Gros Géant » frustre en raison de ce décalage entre l’excellence de sa production et son incapacité à définir des enjeux puissants, sans parler de son rythme languissant. Au final, « Le Bon Gros Géant » n’arrive même pas à être une bonne adaptation du roman de Roald Dahl, dont il ne parvient jamais à traduire la douce folie ni les zones d’ombre.
On se retrouve face à un film superbe plastiquement, regorgeant de trouvailles visuelles, mais sans âme. Pour la première fois, Spielberg donne ici raison à ses détracteurs ne voyant en lui qu’un technicien doué sans génie (les fous…).

Faut-il pour autant s’inquiéter pour Tonton Steven ? Non. Ses derniers travaux, comme « Le Pont des Espions », « Lincoln », « Tintin » et le splendide « Cheval de Guerre » montrent bien que même après le discutable « Indiana Jones 4 », Spielberg n’a rien perdu de son mojo, et mieux encore, que son cinéma, loin de se scléroser ou de tourner en rond sur ses fondamentaux, continue d’évoluer film après film. Avec près de 30 longs métrages à son actif, sa régularité de métronome et la batterie de chefs d’œuvre à son actif, il a bien gagné le droit de connaître une ou deux baisse de régime par décennie.

Note : *

2 commentaires Ajoutez les votres
  1. « Ben non j’avais pô vu, comme d’hab ». Je l’ai visionné, pas folichon et ne donne pas très envie. Ce film a une bonne note sur l’Express de cette semaine pourtant.

  2. Il est triste d’être « infinie tristesse ». Au début, j’ai cru que c’était une erreur de tournure de phrase. Koa? la Dame a publié 2 billets en quelques jours!!! On voit que les schtroumphs sont partie à la recherche de la schtroumphette!

    Sinon plaisant à lire mais bon je n’irai pas voir le film. ça me fait un peu de la peine pour spielberg, le doigt rouge d’ET c’est mon premier souvenir de cinéma, d’ailleurs j’en garde que de l’angoisse, rire…

  3. Il est triste d’être « infinie tristesse ». Au début, j’ai cru que c’était une erreur de tournure de phrase. Koa? la Dame a publié 2 billets en quelques jours!!! On voit que les schtroumphs sont partie à la recherche de la schtroumphette!

    Sinon plaisant à lire mais bon je n’irai pas voir le film. ça me fait un peu de la peine pour spielberg, le doigt rouge d’ET c’est mon premier souvenir de cinéma, d’ailleurs j’en garde que de l’angoisse, rire…

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