Pique la baleine, joli baleinier

Comme j’ai vendu mon âme à James Cameron il y a quelques années maintenant, pour moi, le titre du dernier Ron Howard « Au Cœur de l’Océan » évoque avant tout ceci :

Et donc par corollaire surtout ça :



Ceci dit, pas de panique, l’eau de mer coule dans mes veines (citation originale d’un vrai marin, qui s’était ainsi autoproclamé parce qu’il avait un couteau. Et une bouteille de rhum), aussi quand mon cerveau entra en contact de « Ron Howard adapte l’histoire de l’Essex », mon sang demi-sel ne fit qu’un tour et voici que je me trouvai chantant cette chanson fort à propos. J’insiste sur le fait que des esprits étrangement tordus ont fait de cette chanson vantant la pratique du cannibalisme chez les marins une comptine pour enfants. On a l’enfance qu’on mérite, je suppose : « c’est la crise mon chéri, tirons à la courte paille pour savoir qui de toi ou ton petit frère sera mangé ohéohé ! Oui, comme dans la chanson que tu as apprise avec Papi » => des vertus pédagogiques du répertoire des chants de marins…

Après ça, il y eut une deuxième célèbre rengaine qui me vint en tête. Je l’ai apprise quand je participais au groupe chant de mon collège, et ce n’est que quelques années plus tard, en me la chantant toute seule que j’ai réalisé que comme 95 % des chants de marins, il s’agissait d’une chanson porno (les 5% qui restent encouragent l’anthropophagie).

C’est donc avec une grosse ambiance sonore que j’ai attendu fébrilement la sortie de « Au cœur de l’Océan », une attente d’autant plus fébrile que « Rush », le précédent film de Ron Howard, m’avait vraiment épatée alors que moi, de base, je sais à peine conduire et je ne connais aucune chanson de pilote de Formule 1.

Aller, cétacé de suspens, la suite !


Cette affiche est assez mensongère question rapport de tailles. Mais moins que celle sublime du marin qui fait face à l’œil du cachalot. Plan qui n’est même pas dans le film… Quand l’affiche est plus awesome que ce que tu as in fine sur ton écran…

Chaussez vos bottes de caoutchouc, la vareuse et le ciré, prenez votre plus beau couteau et souquez ferme mes boué !

C’était donc une frégate lonla c’était donc uneuh frégateuh (chanson porno), c’était l’Essex, un joli petit baleinier, immatriculé dans ce qui était un peu le Dubaï du XIXe siècle, Nantucket. Petite île sur la côte est des Etats-Unis spécialisée dans l’activité fort lucrative de récolte du fameux blanc de baleine, l’huile qui à l’époque, assurait la marche du monde.

En parlant de James Cameron, j’aimerais lui mettre un amical tacle grâce au « Cœur de l’Océan » (le film, pas le collier), qui à mon avis, en quelques scènes très efficaces tenues en la traversée de Nantucket par le personnage principal, est parvenu à mettre en scène de manière extrêmement forte et claire le besoin vital que cette société avait de l’huile de baleine. Des enjeux de développement et de survie qui ne sont pas sans rappeler ceux présents au cœur d’ « Avatar » mais que Cameron n’a pas vraiment exprimés de façon aussi puissante concernant l’unobtanium (même s’ils étaient parfaitement intelligibles).

Parce que c’est cette dépendance qui est au cœur de tous les enjeux du film : enjeux sociaux, humains, globaux, vitaux, tout se résume finalement à cette quête de l’énergie et à une lutte à mort entre les hommes et la baleine pour la survie des uns au détriment de celle de l’autre.

Le hic c’est que passé cette introduction de très bonne facture à Nantucket, « Au Cœur de l’Océan » plafonne très vite et ne parvient jamais à décoller.
Comme si l’état de grâce sur lequel Ron Howard avait fait « Rush » s’était envolé, ne lui laissant la possibilité que de faire un film honnête, très plaisant à regarder, mais jamais à la hauteur qui aurait dû être la sienne.

Je râlais dans l’intro sur les affiches justement parce qu’elles apportent cette profondeur mythologique, bigger than life, qui manque cruellement au film, lequel se résume à une mise en scène efficace. J’ai attendu deux bonnes heures que cela décolle et ce n’est jamais arrivé.
Howard s’impose pourtant des morceaux de bravoure, qui n’en deviennent réellement jamais.

La scène de la tempête s’avère par exemple frustrante à cause de l’échelle choisie, le point de vue forcément étriqué des marins, pris dans un genre de machine à laver géante. Sans le retour nécessaire à l’ampleur du phénomène, on perd de vue, en tant que spectateur, l’enjeu de la scène et surtout, celui du film : l’insignifiance de ce navire et de ces hommes face aux forces démentielles qu’ils vont affronter. La seule chose traitée dans cette scène est finalement la rivalité entre le capitaine (au milieu du film, j’ai réussi à le remettre : c’est Abraham Lincoln. De « Abraham Lincoln Chasseur de Vampires ») et son second (au milieu du film, je me suis souvenue que Chris Hemsworth, lorsqu’il est bien dirigé, est vraiment un super acteur).

Cette carence, ce manque de fil directeur, reste vrai lors de la rencontre avec la bête, qui manque de force, un comble quand on parle d’un cachalot d’un fort beau gabarit décidant de défoncer un bateau sans raison (puisque visiblement, l’Essex a été victime d’un évènement complètement inédit, l’attaque spontanée par un cachalot non provoqué. D’ordinaire, sauf si tu te mets à lui planter des trucs dans le dos, le cachalot est une bête relativement placide). Une attaque pourtant préparée en amont par la rencontre avec le capitaine manchot, mettant en garde l’équipage de l’Essex contre le monstre qui rôde dans le Pacifique.

Résultat, le film se dégonfle un peu et l’obsession de Chase pour la bête perd de sa force, puisque l’on n’est jamais parvenu à ressentir cette impression cauchemardesque que doit être la certitude d’être pourchassé en plein océan par une énorme baleine incohérente et revancharde.

Le problème du film vient peut-être simplement de son point de départ. « Au Cœur de l’Océan » est l’adaptation d’un livre racontant l’histoire véritable qui a inspiré Herman Melville pour son « Moby Dick ». Là où le roman empoignait moult figures symboliques pour dépeindre un affrontement quasi primordial entre Achab et la baleine, Howard choisit une approche plus réaliste, qui en elle-même n’est pas si mal venue.

Compte tenu du fait que l’histoire de l’Essex s’avère pire in fine que celle contée par Melville, et qu’elle contient son lot d’aventure, d’horreur et d’épopée surhumaine, je m’étonne un peu qu’Howard semble à ce point sur la réserve.

Il faut dire que le choix d’une narration partagée entre le récit de l’expédition et l’interview de Nickerson, survivant de la tragédie, coupe régulièrement le récit à des moments pas toujours très opportuns. Si on peut comprendre la nécessité de faire raconter plutôt que de montrer les actes de cannibalisme, le reste des coupes ne s’impose jamais, et se serait parfaitement accommodé d’une simple voix off (dispensable qui plus est). Ouvrir et fermer le film par l’interview, oui, le faire commenter par deux personnages qui se contentent soit de paraphraser, soit d’annoncer les évènements à venir n’apporte pas grand-chose et contribue à casser le rythme d’un film qui souffre déjà de manquer d’ampleur et d’ambition narrative. Le comble restant que l’on sent bien que la volonté de rendre Melville présent dans l’histoire est pour illustrer combien la réalité a viscéralement nourrit son œuvre majeure. Tout ça pour évacuer toute viscéralité du film.

Était-ce en raison de la salle dans laquelle le film était diffusé, en tout cas, mon visionnage a été quelque peu parasité par une qualité d’image, comment dire… granuleuse. C’était assez dégueulasse pour que cela me gâche l’ouverture, ce plan sous-marin plutôt bien pensé, même s’il s’achève comme tout le reste du film, par un plan mal cadré et fugace de la baleine supposé créer un sentiment d’attente j’imagine, mais qui reste juste un plan fugace et mal cadré. A côté de ça Howard emballe des plans magiques, comme le naufrage de l’Essex, celui presque irréel du cachalot défiant le navire, dépeint avec brio le microcosme socio-économique de Nantucket, mais finalement, se perd dans un film dont il n’a, à mon avis, pas réussi à cerner les enjeux. Ceux de la survie, à tout prix.

Un thème très fort, qui avait pour mérite de lier à la fois les marins, les élites de Nantucket, le monde industriel suspendu à la production de l’huile de baleine, les cachalots eux-mêmes, et que l’on retrouve certes en filigrane mais sans traitement de front.

Eparpillé, « Au Cœur de l’Océan » rate son objectif, même s’il reste très plaisant à visionner, pas ennuyeux pour un sou et souvent beau (malgré son aspect…granuleux…).
On a de surcroit un très beau niveau de production et un très bon travail de mise en valeur de cet univers étrange des baleiniers dans lequel Howard nous faire entrer les deux pieds dedans.
Alors oui, le film laisse sur sa faim mais il vaut malgré tout le déplacement, ne serait-ce que pour cette ambiance rude et poisseuse, qui parvient et c’est LA grande réussite du film à faire ressentir l’union forgée entre tous les membres de l’équipage par cette expérience.

Ron Howard est un metteur en scène assez irrégulier, et malheureusement pour moi, il s’avère que son « moins bien » est tombé sur « Au Cœur de l’Océan », un film dont j’attendais sans doute trop au regard de la belle réussite qu’avait été « Rush ».

Reste tout de même un travail de grande qualité, qui n’arrive certes pas à tutoyer les hauteurs mythologiques que l’on pouvait en espérer, mais qui propose une grande aventure à l’ancienne, valant facile 27 « Seul sur Mars ».

Note : **/*

2 commentaires Ajoutez les votres
  1. Ha, ça me peine un peu de lire que le film ne te conquiert pas entierement. Moi qui attendait un nouveau Master and Commander (un peu utopiquement c’est vrai) (bon d’accord, c’était impossible, surtout quand on nous vend la perspective d’un leviathan). Il me reste à juger sur pièce…

  2. Ha, ça me peine un peu de lire que le film ne te conquiert pas entierement. Moi qui attendait un nouveau Master and Commander (un peu utopiquement c’est vrai) (bon d’accord, c’était impossible, surtout quand on nous vend la perspective d’un leviathan). Il me reste à juger sur pièce…

  3. @ captainbrisild : et ça m’a peinée de ne pas être conquise. Ceci dit, question reconstitution, il joue dans la même cour que « Master & Commander ».

  4. @ captainbrisild : et ça m’a peinée de ne pas être conquise. Ceci dit, question reconstitution, il joue dans la même cour que « Master & Commander ».

  5. Visionné hier, longtemps après la bataille, et j’ai un avis un peu mitigé.
    C’est bien joué, c’est bien filmé, tout ça est ma foi très joli … mais j’en ai rien à faire. Je ne suis restée que spectatrice, je n’ai jamais réussi à m’impliquer dans ce film qui saute de péripéties en péripéties sans développer tous les personnages qu’il me lance à la figure (c’est bien simple, je ne me rappelle pas de leurs noms, par contre j’ai vu Spiderman, les frères Shelby et un gus de Game of Thrones mourir de faim dans des barques). Je suis ressortie de là en ayant passé deux heures en mer, pas deux ans.
    Et je me demande toujours pourquoi la Warner a cru bon de sortir ce film en décembre. Juste avant Star Wars et Noël, un film avec du cannibalisme, y a aucune raison pour que ça ne marche pas.

  6. Visionné hier, longtemps après la bataille, et j’ai un avis un peu mitigé.
    C’est bien joué, c’est bien filmé, tout ça est ma foi très joli … mais j’en ai rien à faire. Je ne suis restée que spectatrice, je n’ai jamais réussi à m’impliquer dans ce film qui saute de péripéties en péripéties sans développer tous les personnages qu’il me lance à la figure (c’est bien simple, je ne me rappelle pas de leurs noms, par contre j’ai vu Spiderman, les frères Shelby et un gus de Game of Thrones mourir de faim dans des barques). Je suis ressortie de là en ayant passé deux heures en mer, pas deux ans.
    Et je me demande toujours pourquoi la Warner a cru bon de sortir ce film en décembre. Juste avant Star Wars et Noël, un film avec du cannibalisme, y a aucune raison pour que ça ne marche pas.

  7. @ Plouf : Le film aurait du sortir un peu avant l’été, mais il a été repoussé à l’avant fêtes de fin d’année. La rentrée aurait sans doute été une période plus propice pour lui.
    Ceci étant dit, je l’ai revu récemment, et j’y ai été bien plus réceptive. Tout ce qui m’avait manqué au premier visionnage, je l’ai trouvé cette fois.
    Par contre, clairement, je ne sais pas qui ou quoi a merdé dans le ciné où je l’ai vu, mais l’image était franchement crasseuse quand je l’ai vu en salle, alors que chez moi, le film m’a violemment giflée à la figure et fait faire trois fois le tour de son slip.
    Du coup, je serais bien tentée de le re noter quelque chose comme ***/*

  8. @ Plouf : Le film aurait du sortir un peu avant l’été, mais il a été repoussé à l’avant fêtes de fin d’année. La rentrée aurait sans doute été une période plus propice pour lui.
    Ceci étant dit, je l’ai revu récemment, et j’y ai été bien plus réceptive. Tout ce qui m’avait manqué au premier visionnage, je l’ai trouvé cette fois.
    Par contre, clairement, je ne sais pas qui ou quoi a merdé dans le ciné où je l’ai vu, mais l’image était franchement crasseuse quand je l’ai vu en salle, alors que chez moi, le film m’a violemment giflée à la figure et fait faire trois fois le tour de son slip.
    Du coup, je serais bien tentée de le re noter quelque chose comme ***/*

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