Tu seras une femme, ma fille

Quand nous étions tous minots, charmants bambins en culotte courte, et que nous allions à l’école les bras chargés de nos cartables et de bûches pour le poêle de la salle de classe, trottinant sur les chemins enneigés tout emmitouflés dans nos pèlerines, un béret vissé sur le crâne…

Mais c’est quoi cette vision rétro nostalgique qui sent bon la France d’antan je vous le demande ?

Je n’en sais fichtre rien. C’est peut-être parce que j’écris tout ça avec des Petits Ecoliers sur la table et que le gosse dans le chocolat à une tête à s’appeler Maurice et à mourir dans une tranchée en 1917.

Qu’est-ce que j’ai besoin de me perdre dans l’évocation d’une France que je n’ai jamais connue pour parler du monde magique et merveilleux de l’école primaire et de ses traditions hivernales ?
Au diable socquettes blanches au genou, leçons de chose et chants scouts !

Attention, le cliquage peut vous mener au spoilage…

Je pense que les plus vieux d’entre nous se souviennent avec une émotion certaine de ce rendez-vous annuel presque incontournable : le Disney de Noël.
J’ai bien conscience de faire partie d’une tranche d’âge un peu privilégiée, celle qui a profité d’une période assez faste chez Disney question dessins animés. Je suis de ces gros veinards qui ont vu « La Petite Sirène », « Le Roi Lion », et « Pocahontas » en salle. Et qui sont suffisamment vieux pour avoir profité de rediffusions de « Bambi », « La Belle au Bois Dormant » et « Blanche Neige » sur grand écran. Ouais, la classe, je sais (« La Belle au Bois Dormant », ça déchire grave sa race, et je ne dis pas cela QUE pour le somptueux dragon).

Un projet qu’au début, je râle.

Un projet qu’au début je râle, parce que zut flûte, corniguedouille et saperlipopette, « La Reine des Neiges » est mon conte préféré d’Andersen. C’est simple, j’aime TOUT dans cette histoire : le gosse possédé, les brigands chelou, la petite gamine, les traîneaux, le palais de la reine, la reine, la vache quoi, la méchante trop ambiguë que j’adore (et qui m’a fait adorer la reine Jadis dans « Narnia », d’ailleurs), et les illustrations qui vont avec le conte qui sont juste magnifiques.

« Allons, jeune fille, un conte que tu adores porté sur grand écran par Disney, pourquoi meugler ? »

C’est vrai ça, pourquoi ? Disney a mainte fois prouvé sa capacité à adapter ce type de récit, de quoi je me plains franchement ?

Et bien parce qu’en lorgnant le projet, je me suis rendue compte de plusieurs trucs un peu étranges :
1) aux commandes, on trouve l’équipe de « Raiponce » : et « Raiponce » c’était frais et sympathique, mais ça cassait pas non plus trois pattes à un canard.
2) le film porte l’étiquette « de princesse » : où ça des princesse dans « La Reine des Neiges » ???
3) le titre original est « Frozen » : comme « Raiponce » s’appelait en anglois « Tangled » et non pas « Rapunzel ».

Si je résume, l’équipe de « Raiponce » va donc faire comme ce dernier, prendre la base d’un conte et faire ensuite un virage à 180° en abandonnant la trame originelle pour construire un récit original.
D’où les titres anglais de ces films, qui ne renvoient pas du tout aux contes dont ils s’inspirent. Note d’intention, tout ça.

S’ajoutent à cela :
1) une bande annonce qui lorgne en effet vers le style de « Raiponce » : aventures, blagues, et un visuel monDieumonDieucommec’estbeau. Sans rire, c’est magnifique.
2) Une promo très modeste axée sur l’argument : « LemeilleurDisneydepuisLEROILION », affirmation qui me rend un chouia méfiante.

Mais puisque « il suffit qu’on te rajoute de la neige sur un truc pour que tu sois contente » et que je plaide coupable, je suis donc allée visionner la bête.

Au sortir de « La Reine des Neiges », le premier constat qui s’impose est « Disney is back ». Bonne nouvelle.
Deuxième constat : « Raiponce » en était en quelque sorte la version préparatoire, moins harmonieuse, et moins heureuse.

Car « La Reine des Neiges » en une heure et demie de temps et une toute petite erreur de parcours, ressuscite littéralement l’esprit des Disney de Noël de jadis, naguère, autrefois. Le tout avec une grande élégance et une compréhension pleine du genre dans lequel ce film s’inscrit : le film de princesses.

Là où « Raiponce » cherchait à moderniser le concept sans réellement l’assumer, « La Reine des Neiges » embrasse sa thématique et prend à bras le corps tout ce que fait ce type de dessin animé.

Et puis en fait…

Avec pour base de départ le conte de Hans Christian Andersen, « La Reine des Neiges » de Disney partait avec quelques difficultés liées à l’histoire elle-même, plus particulièrement à son personnage titre. Apparaissant tardivement dans le récit, la Reine des Neiges est une figure étrange et insaisissable qui semble de prime abord assez délicate à intégrer dans le format standard d’un Disney de Noël calibré « de princesse ».

Il faut donc opérer quelques très lourds aménagements, ne conserver que deux trois éléments du conte que l’on ne reconnaît carrément plus (et finalement, ce n’est pas grave), et repartir sur des bases nouvelles.
Si « Raiponce » avait pris à peu de choses près le même chemin, il échouait en cours de route à être autre chose qu’un enchaînement de péripéties sympathiques emballées dans un très beau visuel. La faute en revenait principalement à un traitement superficiel de la relation qui aurait dû être au cœur de tous les enjeux du récit, celle entre Rapunzel et Goethel, relation mère-fille aussi castratrice que malsaine.
Un sujet que « Rebelle » des studios Pixar est parvenu à bien mieux traiter, malgré un virage chiant et neuneu à mi-parcours, lequel n’est heureusement pas parvenu à défaire ce qu’une première demi-heure brillante était parvenue à construire.

Si « La Reine des Neiges » est une si belle réussite c’est que le film existe sur différents niveaux, et que tous seront traités à hauteur égale d’un bout à l’autre du film.

Au cœur du récit, il y a la relation entre Anna et Elsa, deux sœurs séparées par les pouvoirs de la plus âgée, qui s’isole volontairement durant de longues années après avoir manqué tué sa cadette. Les années passent entre incompréhension, solitude, jusqu’à la révélation publique de la magie d’Elsa qui doit alors affronter la peur des autres. C’est l’amour de sa sœur Anna qui servira donc de déclencheur à une aventure visant à ramener Elsa parmi les siens.
On sera frappé par la grande cohérence de cette histoire qui ne souffre d’aucun aménagement gratuit visant à faciliter soit une nouvelle péripétie, soit de l’humour décalé. Bref, tout l’inverse d’un Dreamworks (ouh, comment elle est méchante la Dame… Ouais, je sais, Dreamworks fait de bons films d’animation maintenant, tout se perd, que voulez-vous…)

Entre ici, Carrie White !

Si « La Reine des Neiges » était un gâteau, son histoire en composerait le glaçage. Première couche visible, première impression, et celle-ci est d’emblée positive.
Positive aussi car, SPOILERS, le climax se voit résolu par le détournement d’un code du conte de princesse.
Un peu comme dans « La Princesse et la Grenouille », où le premier baiser supposé ramener le prince à sa forme humaine changeait en batracien la pauvre fille qui avait eu la gentillesse de l’embrasser pour lui rendre service.
Dans « La Reine des Neiges », c’est Anna qui mourante, cherchant à rejoindre l’homme qu’elle aime pour qu’il la sauve d’un baiser, se détourne finalement de ce dernier afin de sauver sa sœur.
Et c’est ce geste d’amour envers Elsa qui lui permet de lever la malédiction pesant sur elles deux.
Là où le scénario est brillant, c’est que le détournement de ce code (le baiser salvateur du prince) n’est pas motivé par la volonté de faire un gros fuck au genre, ni par un pseudo féminisme mal placé en mode « no care les hommes, oestrogènes 4ever ! ». Non, cette résolution du climax est uniquement motivée par ce qui alimente l’intrigue depuis le début : l’amour fraternel. Enfin sororal.
Le récit conserve ainsi sa logique sans pour autant sembler un seul instant méprisant vis-à-vis du genre film de princesses.

Car là où on trouve également la marque des grands Disney, c’est dans ce qui se trouve sous le glaçage, le gâteau lui-même, ce que les enfants intègreront sans le comprendre : la valeur éducative du récit, principalement portée par le personnage d’Elsa.

Les contes mettant en scène des héroïnes féminines reposent souvent sur la même idée archétypale. La jeune fille quitte sa sphère de confort, assimilable au monde de l’enfance, pour entrer dans un lieu effrayant et dangereux. Elle doit y échapper à des monstres, ou des hommes monstrueux, avant d’être sauvée par son prince qui l’épouse, lui fait un max d’enfants et ainsi eut-elle des vergetures.
En gros, pour vous la faire très courte, les « Blanche-Neige », « Belle au Bois Dormant », et autres « Cendrillon », j’en passe, racontent tous le passage à l’âge adulte et tout ce qu’il peut y avoir de traumatisant pour une fille. Quittant le monde rassurant de l’enfance, elle entre dans la puberté, d’ailleurs, vous allez voir comme ce symbole est d’une subtilitay renversante, souvent après avoir été confronté à un élément de couleur rouge : la Belle au Bois Dormant se pique le doigt et saigne, le Petit Chaperon Rouge met son frakking manteau rouge pour aller dans la forêt… Plus éloquent tu meurs. Bref, une fois que le rouge apparaît, notre pauvre petite fille se retrouve donc perdue dans ce monde atroce peuplé de créatures bizarres : elle découvre sa féminité, y’a des trucs bizarres qui se passent dans et sur son corps, et puis il y a ces monstres à la fois terrifiants et attirants, les garçons. Brrr…
Après avoir affronté cette peur, l’héroïne du conte finit par accepter cette féminité qui l’effrayait dans une rencontre symbolique avec le prince, représentant une virilité rassurante, apaisante, exprimant là un rapport homme/femme pacifié.

La symbolique est assez évidente et très habilement amenée. Le pouvoir d’Elsa est assimilable à son genre, dont une petite fille peut s’amuser en jouant à la princesse. Et puis un jour… Un jour, cette féminité se met à faire peur parce qu’elle échappe à tout contrôle. Elsa se sépare d’Anna parce que cette dernière, plus jeune, ne peut pas comprendre ce qu’elle traverse.
Dans la montagne, Elsa peut laisser libre cours à ses pouvoirs après avoir rompu avec son passé. Une phase de l’adolescence classique, où le passage à l’âge adulte peut s’accompagner d’un rejet violent de l’environnement familial, afin de se construire une identité propre et découvrir sa sexualité.
La séquence, carrément sublime, de création du palais de glace, est assez explicite : on peut y voir Elsa déchaîner sa puissance en édifiant une forteresse de solitude à son image, qu’elle fera ensuite garder par un golem de glace. Dans cette même séquence, on assiste aussi à sa transformation physique. Celle qui jusqu’à présent était une reine sévère et guindée dans sa robe sombre utilise sa magie pour se créer une robe vachement plus sexy, démarche chaloupée à l’avenant.



Bref, Elsa passe violemment à l’âge adulte dans une prise de conscience brutale de son genre et de sa sexualité.
D’où quelques menus excès de sa part…
Tout l’enjeu du film sera par la suite de ramener Elsa vers une acceptation apaisée de ce pouvoir, via, notamment, l’influence d’Anna, sa jeune sœur.


Comme dans le conte d’Andersen, il n’y a finalement pas de méchants réels, simplement des figures ambivalentes. Y compris chez le personnage qui semble au final s’imposer comme le plus salopard de l’histoire, puisqu’il est lui aussi motivé par sa volonté de s’émanciper et de d’affirmer sa virilité.

ET DONC JE RESPOIL, MAIS PIRE QUE LA FOIS DU DESSUS.

Hans, le prétendant opportuniste, est le plus jeune de 12 frères (un treizième fils, il est donc forcément méchant). Comme il l’exprime très bien, il n’avait aucune chance dans une fratrie aussi nombreuse de devenir roi ou même de faire un beau mariage. On sent par quelques répliques combien il a pu souffrir de ce statut de cadet.
Si je voulais faire une comparaison avec un autre personnage de Disney, j’irais lorgner du côté de Simba dans « Le Roi Lion », dont l’attitude enfant vis-à-vis de son pouvoir futur (« Je voudrais déjà être roi », remember) n’est pas sans rappeler celle de Hans.
Ainsi, ce personnage de prince fait exactement le même cheminement que n’importe quel héros de conte : il se rend dans un royaume lointain où d’étranges choses se passent (ici le mystère de la réclusion d’Elsa), et tente de le conquérir. Se faisant, il séduit la princesse, protège le peuple et affronte des monstres en faisant par ailleurs preuve d’un vrai courage.
Hans finit par devenir le grand méchant de l’histoire parce qu’il en faut bien un, à la fois pour tempérer les excès d’Elsa, mais aussi pour réunir tous les personnages les uns avec les autres (Anna et Kristoff, Elsa et sa sœur).

Non mais quand je vous dis que c’est sacrément bien fait, cette affaire-là…



Tenez, autre élément qui montre combien l’écriture de « La Reine des Neiges » est soignée : le frakking comique de l’histoire, élément difficile à maîtriser s’il en est.
Ce compagnon choupi et marrant est ici incarné par le bonhomme de neige vivant, Olaf (je veux le nom de celui qui s’est dit « tiens pour le doublage français du bonhomme de neige, on va prendre qui ? Hmmm… Neige, nord, Chnord… DANY BOON !!!! » => que je l’embrasse parce que c’était une super idée).
Dans « Raiponce », le compagnon mignon était un caméléon muet qui ne servait à rien et ne venait de nulle part. Choupi, mais inutile au possible.
Olaf lui, est une création spontanée d’Elsa, au moment où celle-ci libère ses pouvoirs. Portant le nom qu’elle donnait enfant à ceux créés pour sa petite sœur, il est en fait l’émanation de sa part d’enfance et de tendresse. Jamais le film ne fait l’insulte à son public d’expliciter cette idée par un dialogue.
L’attachement quasi immédiat d’Anna pour le bonhomme de neige s’explique de lui-même, parce qu’elle reconnaît sa sœur disparue en lui.
Sans jamais verser dans l’humour lourd, Olaf devient un compagnon drôle, attachant, vraiment super mignon, bien plus réussi que certains side kicks des plus grands classiques genre, au hasard, Timon et Pumba.
Il n’y a guère que sa chanson, ouvrant une séquence sur un été fantasmé par le bonhomme de neige, qui est si décalée par rapport au reste du film, qu’elle en fait immédiatement sortir.

J’ajoute aussi que toute la séquence durant laquelle l’hiver s’installe sur Arendelle est une très grande réussite en matière d’ambiance, dont la construction débute quasiment avec le film. Le public a été initié aux pouvoirs d’Elsa dès les premières scènes. Il ne s’agit alors que d’un jeu d’enfant, créant des bonhommes de neige et des amas de poudreuse. Dans le montage qui présente la manière dont les jeunes filles grandissent éloignées l’une de l’autre, on voit les pouvoirs d’Elsa lui échapper peu à peu et sa peur d’elle-même grandir.
La scène du bal présente pour la première fois le réel danger qu’elle représente en montrant ses créations comme des pics de glace agressifs.

Enfin, sa fuite sur le fjord qu’elle plonge dans un hiver éternel, intervient à point nommé, lorsque le public commence lui aussi à accepter la nature monstrueuse de ce pouvoir totalement hors de contrôle.
La fuite, nocturne, dans un camaïeu de gris, renforce l’ambiance oppressante de la scène. Laquelle joue aussi sur l’échelle à laquelle la magie d’Elsa s’exprime à présent. Jusqu’alors, celle-ci restait cantonnée à l’intérieur du palais. Mais lors de sa fuite, c’est dans le gigantisme du fjord que le pouvoir se déchaîne. Le travail sur le son de la glace emprisonnant les navires, couplé au traitement visuel sombre et inquiétant font basculer le film, le temps d’une séquence, dans le fantastique pur et dur.

Proposé en 3D, format qui est tout à fait dispensable, « La Reine des Neiges » a aussi pour lui d’être sublime. Quelques séquences sont tout simplement magnifiques, à commencer par le merveilleux palais de glace, jouant sur les couleurs mouvantes et les transparences. Mais il y a aussi la courte mais poignante évocation de la mort des parents d’Elsa et Anna, en trois tableaux : la tempête engloutissant leur navire sans le moindre son, la cérémonie funéraire et ce plan très simple d’Anna remontant un couloir vide dans ses vêtements de deuil. Une séquence qui intervient dans une première moitié du film qui est de toute manière la plus réussie du métrage. Non pas que la suite soit moins bonne mais elle s’inscrit dans un schéma plus classique.
Reste que cette dernière partie de « La Reine des Neiges » offre quand même un climax très bien mené, avec ce plan sur la distance séparant Kristoff et Anna, et sa conclusion dans un silence de mort, particulièrement efficace (les petites connes qui ont gloussé tout le film durant dans mon dos en ont eu le sifflet coupé).
Disons que globalement, la direction artistique de « La Reine des Neiges » est à la hauteur des meilleures productions du studio, et au service d’une histoire bien écrite et bien pensée.

Y compris concernant les chansons d’ailleurs. Car qui dit Disney, dit pousser la chansonnette à tout bout de champ. Je ne sais pas si celles-ci seront aussi marquantes que celles du « Roi Lion » ou de « La Petite Sirène » en leur temps, mais il faut leur reconnaître de l’efficacité. Même si la chanson d’Elsa est un peu pop sur les bords, elle fonctionne à merveille lors de la séquence de création du palais de glace.
Dommage que tout le reste de la partition n’est pas été du niveau de l’ouverture, enchaînement très heureux d’un chœur féminin sur une séquence rythmée par un chant de travail des marchands de glace.
Bon, je me plains, mais dans « Le Roi Lion », c’était exactement la même chose.

Faut-il voir John Lasseter, ici producteur exécutif, comme le nouveau bon génie des studios Disney ?
Peut-être.
Il reste à espérer que « La Reine des Neiges » rencontrera le succès qu’elle mérite auprès du jeune public.

Note : ***

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