« Bon, la fangirl, il est comment le dernier Malick ? »

Pour mieux comprendre l’attente démente suscitée par « Tree of Life », il faut savoir deux trois petites choses sur Terrence Malick, lequel est aujourd’hui l’un des réalisateurs les plus impénétrables du moment. Aucune interview, aucune image de lui depuis les années 70 ou presque, il se terre dans l’ombre pour écrire, contempler, réaliser des documentaires, et méditer sur le chiffre 42.

Malick n’a jusqu’à présent réalisé que 5 films. Les deux premiers « Badlands » (« La Balade Sauvage ») et « Days of Heaven » (« Les Moissons du Ciel ») s’ils démontraient ses talents indiscutables de metteur en scène et posaient déjà sa capacité à suspendre un métrage entier sur quelques instants de grâce, étaient des oeuvres à hauteur d’homme.

Pour moi, ils composent un diptyque sur l’humain, explorant ses passions, ses grandeurs, ses bassesses. Ses personnages, Malick les filme dans une nature magnifiée pour laquelle ils n’ont pas le moindre intérêt (dans « Badlands », le personnage de Martin Sheen préfère lire le National Geographic plutôt que de regarder par le hublot de l’avion qui survole le désert).

Le second cycle, entamé avec « The Thin Red Line », adapté de James Jones, viendra se clore avec « Le Nouveau Monde ». Cette fois, Malick place l’homme non pas tel un objet d’étude, mais à sa juste place, parmi la Création, y cherchant autant sa place qu’un sens à cette absurdité qu’est la vie. Les soldats de la « Ligne Rouge » se confrontent à ce questionnement essentiel par la guerre, qui abolit tout repère moral, social, logique pour eux. Pocahontas dans « Le Nouveau Monde » elle aussi face à un bouleversement majeur dans son existence tente de trouver sa réponse par l’amour, pour, à l’image du personnage christique du Jim Caviezel, s’abandonner à la seule chose qui soit : être au monde.
Films jumeaux se répondant l’un l’autre jusque dans leurs finals sublimes, où les héros se fondent chacun dans le Grand Tout, « La Ligne Rouge » et le « Nouveau Monde » m’apparaissent finalement comme les deux marches nécessaires vers « The Tree of Life », sans doute le plus vieux projet de Terrence Malick, dont la gestation remonte aux années 70, soit l’époque à laquelle il réalise son premier cycle.

Le film porte alors le nom de Projet Q. Longtemps, il sera annoncé comme son prochain chantier. On dit qu’il y travaille, mais l’œuvre s’obstine à ne pas sortir. Le temps passe, Malick réalise peu et surtout pas Q.

En fait, pendant cette période, « Tree of Life » nait, d’une longue, intense réflexion, d’un questionnement profond que Malick construit sur ses tripes, ses convictions (il est chrétien pratiquant, a été étudié la théologie et la philosophie) pour être enfin capable d’écrire et de réaliser ce qui est s’annonçait être l’œuvre de sa vie.

Rare et précieux, Malick sait capter l’essence des choses, transcende l’image, sculpte sa narration comme la lumière détoure les objets, magnifie chaque plan, chaque séquence jusqu’à lui conférer une dimension universelle, touchant du doigt l’essentiel sans jamais y apposer un point de vue tranché, préférant se borner à une objectivité née de sa capacité à mettre l’humain, le monde, à nu.
Dépouillés de toute interprétation philosophique ou religieuse, faisant fi de l’abstraction que sont leurs grilles de lecture, il renvoie le spectateur à son état primitif, le confronte avec une certaine violence à LA question, celle que l’on ne peut formuler et à laquelle il n’existe pas vraiment de réponse.

Voilà le niveau auquel était attendu « Tree of Life », moins en tant que film qu’en tant qu’expérience, plongée au cœur de la vie dans son sens le plus large.

Et bien à mon grand regret, je suis restée plutôt en dehors du film. D’ordinaire, Malick me prend aux tripes mais là, j’aurai passé 2h30 à espérer quelque chose qui ne s’est jamais produit. J’ignore à quoi cela tient, peut-être le choix d’avoir traité de son sujet par le biais d’une enfance, décor avec lequel je ne me suis pas vraiment sentie en phase, ou alors était-ce parce que je n’ai rien découvert de nouveau sous le soleil de Malick.

Pour moi, cette réflexion menée sur l’homme et sa place dans la Création avait trouvé son accomplissement dans le final bouleversant du « Nouveau Monde », et qui ici est à nouveau traitée sur un film entier.

Malgré cela, il faut aussi le dire, « The Tree of Life » est une monstrueuse claque dans la tronche en terme de puissance des images. Si Malick ne cesse de prendre de la hauteur dans sa quête personnelle de réponses sur la vie et le monde, il possède un pouvoir, que j’ai bien du mal à analyser, pour capter l’indicible. Son oeil voit tout, englobe tout, perçoit tout et restitue l’expérience sensorielle avec une matérialité confondante.
On ne cesse de lire et d’entendre que le film est beau, mais il est bien plus que cela. Chaque image raconte quelque chose, fait sens avec une autre, apporte une réponse au delà d’une simple représentation, devient une phrase, une strophe, un jalon vers l’acceptation finale de ce deuil qui supporte tout le film et emporte protagonistes et spectateur vers un discours d’une universalité totale sur l’être au monde.

C’est là d’ailleurs où je m’interroge lorsque je lis les avis de critiques cinés reprochant à Malick un prosélytisme acharné, une bondieuserie dégoulinante et une morale de cul béni.
Vraisemblablement, nous n’avons pas vu le même film.

Malick est croyant et pratiquant, a étudié la théologie, cela suffit sans doute pour le suspecter de vouloir convertir les foules. Alors quand en plus il fait parler ses personnages de Dieu, au secours !
C’est vrai que le portrait d’une famille américaine dans les années 50 peut totalement se passer de référence à la foi chrétienne, surtout lorsque cette famille est confrontée au deuil, le plus inacceptable qu’il soit car celui d’un enfant…

En choisissant cet angle de vue, Malick ne fait que poser le point de départ de sa réflexion dans un cadre familier. Car que l’on ne s’y trompe pas, il ne s’agit là qu’un point de départ.
La mère (Jessica Chastain sublimée par la caméra de Malick) face à la perte de son fils, cherche un sens à sa douleur et s’adresse à Dieu. Quelques temps plus tard, son fils accomplit la même quête, mais se tournera cette fois vers ses parents, cherchant à mesure qu’il grandit à se construire sur les repères qu’ils tentent de poser pour lui. Sa mère lui enseigne à être au monde, son père lui apprend à vivre.

Malick n’a cessé, dans toute sa filmographie, de s’élever dans sa réflexion. De l’homme face à lui-même, puis face à la vie( et donc à la mort), il passe à l’homme et le monde, mais cette fois, décolle d’une approche sensorielle brute (comme dans « La Ligne Rouge » et « Le Nouveau Monde ») pour exposer le cœur de sa philosophie.

Dans « Le Nouveau Monde », la jeune fille en appelait tout le temps à sa mère, ou plutôt à La Mère, cherchant sa déesse, et donc un sens à son existence bouleversée pour la trouver enfin, partout autour d’elle, en elle, acceptant simplement d’être et s’ouvrant à devenir une parcelle d’un Grand Tout.

Dans « The Tree of Life », Malick démontre par l’image (et quelles images !) cette idée, en ramenant toutes choses à leur plus petit dénominateur commun : la Création. Se faisant, il passe de l’infiniment grand à l’infiniment petit, offrant des visions cosmiques et terrestres si empruntes de beauté, de puissance et quelque part aussi de magie, qu’il ramène la Création dans son ensemble, Big Bang à l’apparition de la vie à un miracle, une alchimie sublime qui en quelques minutes fait plus que n’importe quel cours de philo (si des terminales lisent ce blog, vous savez ce qu’ils vous reste à faire avant le bac…).

c’est en partie sur cette séquence que j’ai le plus grand mal à suivre ceux qui attaquent le film sur son discours prétendument religieux. Premièrement parce que la séquence en question, si elle avait voulu se montrer chrétienne hard core, aurait servi une allégorie d’Adam et Eve ou du moins quelque chose de rudement plus créationniste dans l’esprit.
Là où certains ont vu des bondieuseries, j’ai plutôt entendu Einstein : « Un peu de science éloigne de Dieu, beaucoup en rapproche. »

On reprocherait également à Malick d’entretenir un point de vue strictement chrétien ? Le titre du film est tout de même « The Tree of Life », traduisez l’Arbre de Vie, un concept assez universel que l’on retrouve dans de nombreuses religions polythéistes. Il s’agit d’une figure qui s’est beaucoup développée en Orient pendant la protohistoire et l’Antiquité (et qui remonte sans doute à bien plus loin encore), reprise par les Grecs (dans le mouvement syncrétique religieux et artistique de l’orientalisant) et que l’on retrouve également chez les Vikings où l’arbre en question porte le nom d’Yggdrasil.
Plus païen que tout çà, tu meurs.

De même, dans « The Tree of Life », Dieu (pour l’appeler simplement et autrement que Créateur, Vie, ou je ne sais quoi encore. C’est tellement difficile de mettre un nom sur la Force. Oh ? Oo) s’incarne dans le soleil, omniprésent dans les extérieurs, touchant de ses rayons le frère cadet, celui qui suivra la voie de la Grâce. Or le soleil, pour représenter Dieu, c’est un rien païen.

Et s’il fallait encore quelque chose pour s’en convaincre, le final, l’acceptation de la mort, s’accomplit lorsque la mère déclare donner son fils à Dieu, assistée par deux jeunes filles qui l’aident à élever ses mains en coupe vers le soleil.

Pour traiter de cette idée fondamentale, Malick n’a cessé en 30 ans de prendre à chaque fois un peu plus de hauteur. Sa filmographie ressemble désormais non plus à une suite de films donnés comme une exposition, mais bien comme une oeuvre cohérente, complète, du vrai cinéma d’art et d’essai nourri d’une réflexion incroyablement personnelle.

Avec des réalisateurs comme Malick, le mot cinéma, et la puissance de ce médium prennent tout leur sens. L’image dit plus que les mots, dont il est et restera toujours avare. Ils sont de toute façon ici superflus.

Il est d’ailleurs intéressant de constater que cette année, sont sélectionnés à Cannes deux films muets, « The Tree of Life » (que l’on peut complètement considérer comme tel tant l’image se substitue au son) et « The Artist » de Serge Hazanavicius.

Hasard, coïncidence, ou véritable signe d’une réflexion du cinéma sur ce qui le fonde, à savoir l’art de faire parler des images en mouvement avant toute chose ?
Alors que l’on n’en finit pas de découvrir le potentiel de l’animation et de nouvelles techniques comme la performance capture qui contribuent à enrichir encore plus le septième art, il y a là de quoi ouvrir une réflexion passionnante sur le cinéma d’aujourd’hui, d’hier, et surtout de demain.

Note : **** (je ne vous dis pas ce que çà aurait été si j’étais autant entrée dans ce film que dans « Le Nouveau Monde »).

Un commentaire Ajoutez les votres
  1. « l’infirmière pleine de seins », c’est celle qui fait semblant de jouer au squash avec Wood ? Le regard en coin de celui-ci est la preuve qu’il est homo, ou alors il joue mieux qu’on ne croit. Ben oui, avec des pamplemousses pareils, c’est pas les yeux de la fille que le garçon regarde !!!

  2. Ah bah c’est clairement du défi aux lois de la pesanteur ! Par contre, sans doute chimiquement pur.

    Au passage, la scène de squatch (orth ? j’ai un doute affreux…) est atrocement mal filmée. Celle de « Fair Play » était bien mieux (et pourtant, c’est pas facile à filmer le skouatche.

    Et c’est creuvant comme sport, le sqwatsch…

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