Jeux de nains, jeux de vilains.

Un peu moins de 10 ans après, Peter Jackson me replonge dans la zone d’inconfort du « je l’aime et je le déteste » où a longtemps vécu la trilogie de l’Anneau. Laquelle a récemment migré vers la section « affectionaffectionjepardonnetout ».
Il y a donc de l’espoir pour « Le Hobbit », même si cette fois, je sens que les défauts de « La Désolation de Smaug » seront plus difficiles à oublier.

Allons, mes petits, ça va déjà être über méga long cette affaire, alors autant commencer tout de suite.
Respirez un grand coup et armez-vous de votre plus beau sandwich.

Résumé de l’épisode précédent (pour le billet c’est ici) :

Bilbo Baggins, un vieux garçon avec du poil aux pattes, s’ennuie dans une robe de chambre en patchwork quand soudain, une compagnie de treize nains s’invite chez lui pour piller son garde-manger.
Tombant éperdument amoureux de leur chef, Thorin Ecu de Chêne, Bilbo décide de les accompagner dans la quête pour reprendre leurs royaumes des griffes du dragon Smaug, qui dort sur leur plan épargne logement.
Sur la route, ils croisent un hippie, des elfes sans matière grasse, Figwit, un albinos et un goitre géant.
Enfin, après que le Hobbit ait sauvé la vie de Thorin, Bilbo et le nain décident de vivre leur bromance au grand jour.

Sur le film.

Bien, ce billet étant devenu un vrai billet sandwich, de ceux qu’il vous faudra une bonne journée pour lire, je crois que le plus simple reste encore de faire ici un résumé rapide de mon ressenti, comme ça, feignants que vous êtes, vous pourrez fuir rapidement vers de plus verts pâturages où un avis s’exprime en 140 caractères, alors qu’ici, on le fait plutôt en 140 pages Word interligne simple.

Donc je suis déçue par « La Désolation de Smaug ».
Doté d’un rythme erratique, et souffrant d’un mauvais dosage entre les éléments essentiels à l’histoire et des péripéties périphériques inutiles et difficiles à justifier, ce deuxième volet des aventures de Bilbo Baggins ne réussit pas à recréer le sentiment d’enthousiasme (déjà mitigé) ressenti sur le premier.

Avec une première partie trop rapide, glissant sans entrer dans le vif du sujet sur des éléments de contexte pourtant supposés être forts, oubliant même de développer ce personnage récurrent dans les deux trilogies qu’est la Terre du Milieu, « La Désolation de Smaug » manque le coche pour se ressaisir de justesse dans un final somptueux, offrant tout ce qui avait été promis jusqu’à un cut final abrupt mais nécessaire pour construire la tension et l’émotion que le film avait été impuissant à produire jusque là.



Mais « La Désolation de Smaug » est littéralement farcie de scories, tantôt techniques, tantôt scénaristiques, tantôt dues à une direction d’acteurs discutable. Sans parler de la plus grosse faute de goût qui macule ce métrage : le triangle amoureux. Etrangement, ce n’est pas l’idée d’une romance elfe/nain qui s’avère la plus vomitive, mais bien la façon dont la chose est amenée, jusqu’à occuper un temps d’antenne considérable qui nuit à l’équilibre de l’ensemble (ça et le fait qu’Evangeline Lilly joue comme une brêle, réussissant l’exploit de réévaluer à la hausse l’ensemble de la prestation de Liv Tyler dans la trilogie => gros exploit).

Étrangement, et en espérant que le temps atténue ce sentiment comme il a su le faire pour « Les Deux Tours », « La Désolation de Smaug » souffre du syndrome « épisode du milieu », peinant à trouver un juste milieu entre la poursuite de l’action et l’amorce du final, se perdant dans des arcs annexes parfois mal maîtrisés (Dol Guldur est un exemple d’écriture foireuse). Le sentiment est donc mitigé, même si l’espoir demeure pour « Histoire d’un Aller-Retour ». Reste un spectacle généreux, au risque d’y sacrifier son harmonie.

Une question de format.

Nous avons eu l’occasion d’en causer sur la page Facebook, mais la sortie de « La Désolation » a été particulièrement chaotique en raison d’une série de problèmes techniques liés au format dans lequel le film devait être projeté, j’y reviendrai plus bas.

Idéalement, il fallait voir le film dans une salle Imax (sur écran géant), le diffusant en HFR, donc en 48 images par secondes (au lieu de 24 comme pour un film standard), en 3D (format rendu extrêmement confortable lorsque diffusé à 48 images par seconde), avec un son diffusé par une installation Dolby Atmos.

Pourquoi faut-il réunir toutes ces conditions pour réellement apprécier « Le Hobbit » ?

Le cadre.

Parlons de l’IMax tout d’abord.
Et bien parce que le film a été fait pour ce format. Comprendre que chaque plan a été cadré pour être diffusé sur un écran géant. Donc, quand vous voyez le film sur un écran standard, les images sont tronquées.
On y perd en ampleur, et donc en impact ainsi qu’en immersion (l’Imax est un format principalement fait pour l’accentuer).
Exemple : comme j’ai pu voir le film en Imax en en « pas-Imax », j’ai pu évaluer la différence d’impact de deux scènes différentes. Vous allez me dire qu’ayant découvert le film d’abord en Imax, je n’avais plus de surprise la seconde fois et que ma perception de ces scènes étaient forcément faussée. Je suis d’accord avec vous. C’est pour ça que le destin a mis sur ma route une camarade, membre comme moi de la Communauté des Eponges, qui avait vu le film d’abord sur écran standard puis donc, en Imax. Et qui a donc pu confirmer mon impression.

La première scène dont je vais parler est le plan psychédélique sur Sauron se révélant à Gandalf au terme de leur très beau duel de magie.
Par trois fois, revient l’image de l’œil dans lequel se tient la silhouette du Maia (visiblement une reprise de la forme éthérée de Sauron qui devait initialement apparaître à Aragorn durant la bataille du Morannon dans « Le Retour du Roi »).
Cet effet est véritablement monstrueux en IMax 3D HFR. On a véritablement la sensation de se faire posséder par cet œil.
Sur un écran standard, l’effet est tout aussi beau, mais il y perd en force.

La seconde scène est ce passage tout fou où Thorin se jette dans un puit de mine pour échapper à Smaug puis, par un concours de circonstances tout aussi fou, se retrouve perché sur le nez du dragon, qui a la gueule grande ouverte.
Alors autant cette scène claque monstrueusement en standard, parce que déjà, bon, la différence d’échelle entre Smaug et Thorin se suffit à elle-même, parce que c’est un sacré beau duel d’ego surdimensionnés qui se joue là (l’image est dans ce sens symbolique d’ailleurs), et parce que tout simplement, c’est très classe, un mec perché sur le nez d’un dragon.
Mais en IMax, je vous le jure… En IMax cette scène n’est plus classe. Elle est spectaculaire. Au point que lorsque Smaug essaye de happer Thorin, on a la sensation que sa gueule se referme sur nous. Et que le temps passé sur le nez du dragon a été anormalement long.
Pourquoi l’effet est-il meilleur ? Sans doute parce qu’en Imax, le cadre est étendu au-delà de la tête de Thorin et du menton de Smaug. Les deux protagonistes apparaissent encadrés par le puit de mine, ce qui crée derrière eu une ligne de fuite renforçant l’aspect tridimentionnel de la scène. En donnant de la profondeur de champ pour mieux jouer sur la situation de Thorin (juché sur la lèvre supérieure d’un dragon, n’ayant pour option que de tomber sans sa gueule ou dans le puit de mine) et sur le mouvement ascensionnel de Smaug, l’effet de la scène est décuplé.

La vitesse de diffusion.

Outre la taille de l’image, il faut aussi parler de la HFR (High Frame Rate = haute fréquence = 48 images par secondes), format dans lequel le film a été tourné. Autant l’Imax est question de cadrage et d’immersion, autant les 48 images par seconde fondent la lisibilité du film.
Naturellement, notre œil voit à la vitesse de 60 images par secondes. Un film « standard » est diffusé à la vitesse de 24 images par secondes. La fréquence des images du « Hobbit » est deux fois plus rapides que celle d’un film normal. Concrètement, cela veut dire que l’image y sera beaucoup moins saccadée qu’en 24 images par secondes, donc moins floue. Voilà pourquoi les images d’un film en 48 images par seconde semblent plus lisses. Voilà aussi pourquoi le rendu nous semble beaucoup plus réaliste. Avec la HFR, on perd un peu de la distance entre l’objet filmique et la réalité, notre perception du premier se rapprochant alors de la seconde.


Parce qu’un GIF animé vaut toujours mieux qu’une longue explication…

Si vous avez vu le film en 24 images par seconde, votre avis m’intéresse sur les plans aériens de Dol Guldur, où la caméra circule très rapidement dans les éléments de décor, ainsi que sur la poursuite des tonneaux. Etant donnée la rapidité de mouvement des elfes, la vivacité de la caméra qui suit la course des tonneaux en vitesse réelle, je me demande comment cette scène pouvait être lisible à 24 images par secondes.
En 48 images par seconde en tout cas, tout est parfaitement fluide, chaque action se suit, chaque enchaînement se comprend, sans jamais aucune sensation de flou.

Le son.

Quant au son Dolby Atmos, il s’agit tout simplement d’une installation sonore permettant au spectateur de se retrouver au cœur d’un dispositif de diffusion qui habille toute la salle. Les sources sonores sont disséminées partout, lui donnant la sensation d’être avec les personnages, dans le film, percevant comme eux les sons de leur environnement.

Où le voir dans les conditions approchant la perfection ?

En France, la seule salle proposant les conditions frôlant la perfection est le Ciné Pôle Sud de Basse Goulaine près de Nantes, diffusant « Le Hobbit » sur écran standard en 3D HFR et son Dolby Atmos.
Chez nos voisins, Karlsruhe et Londres (pour les plus proches de nous) proposent chacun UNE salle diffusant « Le Hobbit » dans les conditions quasi optimales : Imax+3D (passive, malheureusement)+HFR.
Mais pas en Atmos, eh…

Ayant eu la chance grâce à un heureux concours de circonstance de me trouver à Londres en décembre dernier, j’ai donc sauté sur l’occasion pour me rendre à l’Odeon Swiss Cottage, la seule salle londonienne à offrir le Graal.
Salle blindée une heure et demie avant le début de la séance, donc places pas top au quatrième rang (ça en revanche, c’est l’idéal) mais sur le côté, ce qui signifie gros effet de dédoublement de l’image projetée en 3D passive, donc de qualité discutable.

Par la suite, j’ai pu revoir le film près de chez moi (enfin, à une heure de chez moi), en HFR 3D active. Adieu inconfort, adieu dédoublement, bonjour image splendide, même si très terne (j’y reviendrai).

Définitivement, et je n’insisterai jamais assez là-dessus, la question du format est importante dans l’appréciation d’un film.

Le gros bazar de la sortie mondiale de « La Désolation de Smaug ».

Mais cela ne répond pas à la question que se posait fort justement le roi Théoden en découvrant le merdier qu’était la sortie de « La Désolation de Smaug » : « Comment en sommes-nous arrivés là ? » comprendre comment en sommes-nous arrivés à devoir choisir entre une séance en IMax, une séance en HFR, une séance en Dolby Atmos, mais pas les trois en même temps ?
Alors qu’il s’agit du format dit « natif » du film ? (Comprendre le format dans lequel et pour lequel il a été conçu)

Visiblement, à cause d’un cafouillage général entre production et exploitants.
Les premiers sortent un film tenant sur un fichier numérique très lourd, imposant certaines contraintes techniques comme diffuser le film sur deux projecteurs à la fois, par exemple. Et surtout, ils décident de sortir le film le plus tard possible, pour éviter les piratages.
Les exploitants, de leur côté, sachant pourtant pertinemment dans quel format le film allait leur arriver, n’ajustent pas leur matériel aux contraintes imposées par le film. Question sans doute d’argent, pourquoi engager des dépenses pour UN film, « Le Hobbit » faisant encore partie des rares productions en HFR (espérons qu’il ne faille pas attendre « Avatar 2 » et ses 60 images par secondes pour voir les exploitants se remuer un peu…).
Du coup, quand les salles reçoivent les fichiers et commencent les tests de projection, surprise, des problèmes techniques pointent le bout de leur nez. On découvre ainsi moins d’une semaine avant la sortie du film qu’aucune salle Imax en France ne sera en mesure de diffuser le film en qualité HFR.
Même chose pour le Pathé Wepler, une des très rares salles en France à être équipée d’une installation Dolby Atmos, contrainte de diffuser le film en 24 images par secondes.

Ce cafouillage, s’il n’est pas du fait de Peter Jackson, me semble maintenant être un avertissement concernant le film lui-même.
J’y reviendrai longuement et quasiment dans chaque partie de ce long billet, mais « La Désolation de Smaug » pour brillant qu’il soit souvent, donne l’image d’un film mal fini, souvent trop léger, souvent incertain, souvent approximatif.
J’espère simplement qu’avec le temps et une version longue, j’arriverai à mieux l’apprécier comme j’ai fini par apprécier « Les Deux Tours » à leur juste valeur.

Pour en finir une bonne fois pour toute.

Si je maintiens toutes mes réserves quant à la partition du « Hobbit » en 3 épisode de 2h40 chacun, je pense tout de même que la démarche de Peter Jackson sur la Bilbologie n’est pas aussi illégitime qu’elle en a l’air.
Bien sûr, se sont des histoires de gros sous qui ont abouti à ce découpage, mais il faut rendre à César ce qui lui appartient : le travail d’adaptation du « Hobbit » est remarquable, précisément sur ce point.
Et au-delà de ça, c’est le travail sur la Terre du Milieu tout entière qui mérite les louanges.

« Le Seigneur des Anneaux » possédant un contenu particulièrement riche, son adaptation relevait plus de travail de dégraissage qu’autre chose. Se devaient d’être traités pléthore de personnages, de lieux, de passés, d’intrigues, de caractères, entrant tous en résonance les uns avec les autres.
« Le Hobbit », composé beaucoup plus tôt, sous une forme très différente, et par un auteur qui n’avait pas alors encore totalement envisagé l’ampleur que prendrait cet univers, est de fait, une matière de base moins riche.
C’est donc entre les lignes de ce roman, mais aussi entre celles de la trilogie de l’Anneau et dans ses appendices qu’il a fallu puiser la matière première visant à faire des films une œuvre en parfaite cohérence avec la trilogie au cinéma.

Peter Jackson n’a pas rendu « Le Hobbit » plus adulte, plus sombre, plus violent ou plus épique qu’il ne l’était déjà. Le roman contient littéralement tout ce qui est porté à l’écran. L’adaptation consiste ici à conférer à ce récit d’aventure pour enfant une ambiance qui lie non pas le film au livre, mais bien le film aux trois autres composant la trilogie de l’Anneau.
Il ne s’agit pas là seulement d’adapter « Le Hobbit », mais de composer une œuvre cinématographique cohérente, en inscrivant non plus « Le Hobbit » dans un genre, mais dans un univers, celui de la Terre du Milieu.

Pour cela, Peter Jackson a recours à ce jeu des miroirs déjà évoqué l’an passé, un mécanisme qui loin de relever de l’artifice paresseux remet dans le même mouvement « Le Hobbit » à sa place dans l’œuvre de Tolkien (coup d’essai préfigurant « Le Seigneur des Anneaux ») et dans son univers.

Tolkien avait écrit l’histoire de Bilbo comme un conte pour enfant, dont certains développements et certains personnages servirent par la suite de matrice à sa geste de l’Anneau, au ton plus sombre, fondé sur une dynamique entre désespérance et espoir.
Qu’il y ait une différence criante de ton entre les deux œuvres est la conséquence d’une chronologie de rédaction, de la forme qu’avait pris son récit pendant son élaboration et d’une logique marchande de la part d’un auteur qui publia son premier texte sous le sceau « jeunesse » par un jeu de circonstance parfaitement assumé.
Peter Jackson travaille lui dans l’autre sens. Il a déjà mis en scène l’œuvre fondatrice du Tolkienverse (que tous les Tolkiendili ici présents me pardonnent de ne pas donner ce rôle à un Silmarillion plus hermétique pour le grand public), laquelle a posé les jalons de la représentation de la Terre du Milieu sur grand écran.
Plutôt que de se lancer dans l’adaptation littérale du conte qu’est « Le Hobbit », PJ fait le choix de le raccorder thématiquement, géographiquement, historiquement au « Seigneur des Anneaux ».
Se faisait, il trahit sans doute quelque peu l’œuvre d’origine, mais il produit surtout ce qui est quelque part le rêve de tout créateur d’univers : un monde ayant toutes les apparences du réel. Retraverser les mêmes lieux, retrouver des personnages avant que survienne la Guerre de l’Anneau, arpenter ce monde que nous connaissons déjà et dont les codes visuels nous sont désormais familiers, procède d’une implacable logique narrative visant à livrer, dès décembre 2014, une fresque complète, cohérente, autant visuellement, que d’un point de vue narratif (du moins, on l’espère).

Alors qu’il utilise des moyens techniques nouveaux, lui permettant de libérer sa mise en scène et d’oser ce qui était physiquement impossible il y a treize ans, Peter Jackson réussit là où George Lucas a échoué avec son propre univers : unité de lieu, unité de style et unité historique.
Grâce à lui, la Terre du Milieu ne se contente pas d’être un simple cadre où faire évoluer divers personnages, elle devient un personnage à part entière, fondé sur un respect de sa chronologie, de sa géographie.

De ce point de vue, le pari est amplement tenu (quand bien même j’ai quelques réserves concernant cet opus). Le récit imaginé par Tolkien prend corps en se défaisant de son ton léger, parfois au détriment d’un certain émerveillement, mais gagnant en cohérence vis-à-vis de l’univers lui-même.
Il en est désormais de la Terre du Milieu sur grand écran comme de Pandora dans « Avatar » : le spectateur ne peut plus la percevoir comme une succession de tableaux, mais voit le film comme une fenêtre ouverte sur un monde qui continue d’exister hors champ.
L’exploit de Peter Jackson sur les 6 films (aller, je m’avance un peu) réside là.

Comme cela avait été le cas avec « Les Deux Tours », « La Désolation de Smaug » hérite de la place inconfortable d’épisode du milieu. Un handicap qui n’empêchait pas « Les Deux Tours » de continuer de fonctionner et de trouver sa juste place dans la trilogie, mais qui ce coup-ci, pourrait bien valoir à « La Désolation » le statut de vilain petit canard de la bilbologie.

Mais n’ayez crainte, je déploierai toute l’étendue de mon courroux plus tard. Pour l’heure, laissez-moi continuer de tresser des lauriers à Peter Jackson.
Si, si.

Miroir, mon beau miroir.

On l’avait évoqué en long, en large, et en travers, « Le Hobbit » est fondé sur le principe du miroir, ou de l’écho. Loin d’être une preuve de paresse de la part des équipes néo-zélandaises artisanes du projet, ce principe répond en fait avec pertinence à la proximité naturelle entre « Le Hobbit » et le « Seigneur des Anneaux ». Similitudes que Tolkien lui-même ne niait pas, reconnaissant volontiers le caractère matriciel des aventures de Bilbo pour celles à venir de Frodon.

Numéro 2 oblige, « La Désolation » ressemble donc aux « Deux Tours », tout en sachant cultiver d’intéressantes résonances avec « Un Voyage Inattendu ».

Ainsi, le séjour des nains dans le palais du roi des elfes rappelle beaucoup celui à Goblintown du premier volet. On y avait vu un roi gobelin quasiment érigé en double maléfique de Thorin, sorte de version hypertrophiée et donc monstrueuse du prince d’Erebor.
La rencontre avec Thranduil n’est pas sans cultiver une certaine parenté puisque le roi de Mirkwood, comme Thorin, se présente finalement comme un miroir qu’ils se tendraient l’un l’autre : même noblesse, même fierté, même tendance au repli sur soi, même égoïsme, mêmes obsessions.
Mais il faut aussi convoquer le souvenir de « La Communauté de l’Anneau », reprise ici dans une mise en scène assez proche de l’arrivée de la compagnie à Caras Galadhon. La présence et le pouvoir de Galadriel y étaient alors annoncés par un plan choquant sur ses yeux, interpellant directement Frodon, créant une attente jusqu’à cette entrée très marquante de la dame de Lorien dans son manteau de lumière.
De la même manière, on insiste assez lourdement dans le montage qui va mener les nains vers le roi, sur la présence diffuse de ce dernier.
Thranduil apparaît dans un fondu, semblant se confondre avec l’architecture de son propre palais.
Bien que j’ai trouvé l’esthétique de cette séquence plutôt discutable (ça m’a fait penser à une pub pour du parfum, genre « Dior, pour les Semi-Elfes qui le valent bien »), le fait d’insister lourdement sur ses bagues, l’étoffe de son manteau et sa couronne posent avec une efficacité certaine le bonhomme.

Ah, Thranduil… Pour toujours et à jamais un de mes elfes préféré, un crevard de la pire espèce au caractère bien trempé, un peu trop même…

Lee Pace, contrairement à d’autres, fait d’ailleurs ici l’effort de véritablement incarner un elfe, comprendre se glisser dans la peau d’une créature d’une autre espèce.
Puisque l’on en est à parler de miroirs, je n’ai pas pu m’empêcher de noter la ressemblance certaine entre le roi de Mirkwood et le totalement badass et furieusement classe prince Nuada de « Hellboy 2 ».

Thranduil est ainsi défini en quelques secondes comme un être vaniteux, avide, puissant et mystérieux. Et ceci rien qu’au travers de quelques plans de détail sur son costume et de parallèles astucieux entre le roi des gobelins du premier épisode et Galadriel dans « La Communauté ».
On dira ce que l’on veut de Peter Jackson mais lui retirer son incroyable efficacité et ses fulgurances de mise en scène relèverait du faux procès.

Autre effet miroir, le passage dans le royaume sylvain est également une réflexion de la rencontre entre Frodon, Sam et Faramir.
Mais si, souvenez-vous, dans « Les Deux Tours », Faramir et son crew dans la forêt. Au jeu des miroirs, il est évident que Legolas joue exactement le même rôle que le capitaine du Gondor : il protège ses frontières, obéit aux ordres de son père avec lequel il entretient des rapports un brin tendus, et c’est lui qui intercepte le héros, alors que celui-ci joue la montre pour accomplir sa quête, pour le mener dans le dernier endroit sur terre où il est supposé se rendre : Frodon doit gagner au plus vite le Mordor et se garder le plus loin possible de Minas Tirith / Thorin est suspendu à l’approche du Jour de Durin et ne peut se permettre de perdre une seule journée dans les geôles de cet elfe qu’il déteste, et le lui rend bien.
A noter d’ailleurs que dans les deux cas, un élément perturbateur va intervenir pendant la détention de nos héros : dans le premier, il s’agit de Gollum, repéré près de la cache des rôdeurs, dans le second, c’est Bilbo qui organise l’évasion des nains. Deux êtres marqués par le pouvoir de l’Anneau.

Tant qu’on est là à causer des elfes, autant continuer tout de suite sur le casus belli du film, j’ai nommé le triangle amoureux of doom Legolas/Tauriel/Kili.
Rajouté tardivement, lors des reshoots, il n’existait pas dans la version première du scénario, mais aurait été, d’après Evangeline Lilly, souhaité par les studios. Une excuse bien commode, car au regard du passif de Philippa Boyens (et n’oublions pas l’influence déterminante de sa comparse sur plans foireux, Fran Walsh, sans parler de la contribution de Guillermo del Toro), scénariste de la trilogie et de la bilbologie, responsable du massacre sauvage du personnage d’Arwen et coupable d’avoir écorché celui d’Eowyn, je serais plus encline à croire que tout le monde en voulait, de ce triangle, sauf Evangeline Lilly et que finalement, quand tout le monde sauf l’actrice est tombé d’accord, ça arrangeait bien l’immense majorité.
Car dans le fond, le triangle en question est lui aussi un miroir, celui du triangle amoureux des « Deux Tours » mettant en scène Arwen/Aragorn/Eowyn. Avec pour point commun d’impliquer à chaque fois deux espèces différentes, donc de générer quelques menus problèmes pour les partis en présence.

De manière plus évidente, le séjour des nains à Esgaroth est l’écho du passage de la Communauté à Edoras. On y retrouve les mêmes dynamiques entre pouvoir sclérosé et hommes d’honneur, la même atmosphère de décrépitude.

Bard, que l’on découvre ici, est une figure assez facile à identifier dans le Tolkienverse. Il est le roi sans couronne.
On peut donc très facilement l’assimiler à Aragorn, mais dans le film, l’importance prise par le séjour à Esgaroth permet de faire de l’archer une figure plus diverse.
Bard entre en scène comme un personnage menaçant, dont les intentions sont au départ difficiles à lire (il entre d’ailleurs dans le champ par la droite, comme tous les « méchants » dans la trilogie et la bilbologie). Au terme d’une discussion sans affection particulière avec les héros, il offre à ces derniers un moyen de gagner plus rapidement leur objectif en les faisant monter à bord de son bateau.
En somme, il joue à ce moment le rôle d’Eomer dans « Les Deux Tours », tombant sur Aragorn, Legolas et Gimli dans les plaines du Rohan avant de leur céder deux chevaux.
Une fois à Esgaroth, il continue de jouer ce même rôle en se posant comme seul adversaire du bourgmestre et son serviteur, ersatz de Grima Langue de Serpent. Il finit d’ailleurs le film neutralisé par cet être malfaisant exactement comme Eomer se retrouvait banni (pour le film) mit aux fers (pour le livre) dans « Les Deux Tours ».

Eomer, certes, mais Bard est aussi Aragorn. Je l’ai évoqué plus haut, car l’analogie était évidente, Bard est bien le descendant des seigneurs de Dale, une lignée maudite à cause d’un seul de ses membres. Dans « Le Seigneur des Anneaux », c’est la faiblesse mentale d’Isildur qui provoque la perte de son lignage et fait d’Aragorn un rôdeur du nord, errant sans couronne. Dans « Le Hobbit », c’est l’échec physique de Girion qui jette l’opprobre sur sa descendance et fait de Bard un simple batelier qui voit les verres à moitié vides (non sérieusement, il est chiant comme la pluie ce type).

Tolkien avait lui-même introduit ce personnage très tard dans le récit pour répondre à un besoin immédiat (un truc dans son histoire qu’il n’arrivait pas à résoudre, et dont on reparlera plus tard, genre, l’année prochaine). Bard disposait de très peu de temps d’antenne, ne surgissant que dans la dernière partie du livre pour faire son cake.
Le film ne pouvant se permettre de faire apparaître par magie un personnage aussi important dans l’histoire, qui plus est doté d’un passé prestigieux, choisit logiquement de développer son rôle au-delà de ce qui était dans le roman.
Tolkien a toujours considéré Bard comme une étape préparatoire à l’invention d’Aragorn, et Peter Jackson se place totalement dans cette idée, assumant parfaitement la filiation.
D’ailleurs, le jeu du miroir avec Eomer dans les « Deux Tours » peut tout aussi bien se lire comme un reflet du personnage de Grand Pas dans « La Communauté de l’Anneau ». Bard comme Aragorn entrent en scène sous les formes de hautes silhouettes menaçantes. Par la suite, ils conserveront une attitude mutique, froide, et un ton cassant ne contribuant pas à en faire des personnages particulièrement sympathiques. S’ils prêtent assistance aux héros, leurs manières sont celles de personnages négatifs.

Sans vouloir présager de l’avenir, je vois tout de même déjà d’autre miroirs se former pour « Histoire d’un Aller-Retour », avec le fils de Bard jouant les Pippin dans le remake de la scène des feux d’alarme, le gosse escaladant la tour pour installer la flèche noire sur la baliste, et là, comme ça, je me dis que ce bon Bard pourrait bien ressembler à une certaine blondinette. If you follow me…
J’en profite aussi pour rajouter que la flèche noire, c’est *salut Captain Obvious, c’est gentil de passer par ici* Anduril.

Enfin, le dernier acte de « La Désolation » voit les nains affronter un Smaug furieux qui, sa fierté blessée, se retourne soudain vers la ville sans défense d’Esgaroth.
On peut aisément regarder ce passage comme un écho (et non un miroir) de la bataille du Gouffre de Helm. Aragorn et Theoden cherchent à y protéger les femmes et les enfants du Rohan, dans un acte noble mais désespéré.
Dans les entrailles d’Erebor, c’est un acte d’espoir égoïste de la part de Thorin qui provoque l’ire de Smaug et précipite la bête vers Esgaroth, ses femmes et ses enfants sans défense. Cette conclusion tragique du film sanctionne en fait la tonalité plus sombre que revêt cet épisode, sans doute le plus noir de tous les 6 films confondus (je m’avance un peu, mais je doute que « L’Histoire d’un Aller-Retour » soit pire en la matière).

L’ennemi est intérieur.

« La Désolation de Smaug » est un film surprenant dans son ton car il emprunte des accords désespérés et presque pathétiques dans un univers dont les moteurs ont toujours était l’espoir et l’espérance.
Car dans « La Désolation » plus que dans n’importe quel autre film de Peter Jackson sur la Terre du Milieu, l’ennemi est clairement identifié comme étant non pas un noir seigneur oeuvrant à la destruction du monde, mais bien tapi en chacun d’entre nous.
Le mal habite littéralement le film, au travers de ses personnages qui passent l’un après l’autre du côté obscur, souvent même sans s’en rendre compte.

Bilbo se rend ainsi coupable d’un meurtre aussi gratuit que sauvage sur une araignée, visiblement très jeune, dont le seul crime a été de marcher sur l’Anneau. Cet acte abject est certes imputable à l’emprise de l’Unique sur le Hobbit, mais il n’en demeure pas moins que la réaction de Bilbo suite à son geste, sa culpabilité, son horreur, illustrent parfaitement, dans cette première moitié du film, la noirceur à venir.

Thranduil est l’expression la plus évidente de ce mal sournois qui dort comme un dragon en chacun. Certes pas malveillant, mais égoïste, implacable et prêt à tout pour protéger ses intérêts.

Thorin quant à lui commence à se laisser consumer par ce mal qui affectait son grand-père Thror, la fièvre de l’or, qui ne naît pas de la corruption par le contact avec un quelconque artefact magique, mais bien de son avidité, de sa fierté, de son orgueil (là où l’Anneau est bel et bien le vecteur de la corruption engendrée par la tentation du pouvoir absolu, l’Arkenstone est le symbole de l’avidité et non son déclencheur).

Il est désormais évident que le pire ennemi de Thorin n’est pas le dragon, mais Thorin lui-même. Et tous ces miroirs qui lui ont été tendus depuis le début du film, du roi des gobelins en passant par celui des elfes et par Smaug lui-même sont autant d’avertissements qu’il aura su ignorer.

Mais c’est à Esgaroth que s’exprime le plus volontiers cet aspect, avec d’autant plus de force que tout ce passage n’est qu’un jeu de miroirs entre la trilogie et « Le Hobbit ».
Comme je l’ai dit plus haut, Esgaroth est l’écho d’Edoras, où Gandalf découvrait un roi Theoden sous l’emprise maléfique de Saroumane. Le mal qui rongeait le Rohan venait alors d’un sorcier à la solde de Sauron, utilisant un agent infiltré, Grima, pour empoisonner l’esprit du fils de Thengel.
A Esgaroth, aucun mal ne cherche à manipuler les esprits. Le bourgmestre et son acolyte sont des êtres veules et petits, mais ils ne sont sous l’influence perverse de personne. Le pire ennemi d’Esgaroth n’est une fois encore pas le dragon, c’est elle-même. La ville toute entière qui tel un lemming, va courir vers la falaise pour tenter le grand saut, plébiscitant le retour du roi sous la montagne alors même qu’une prophétie annonce que cet évènement les conduira à leur perte.

Ce n’est pas l’espoir qui anime ces hommes et ces femmes des rues, ou cet édile puant, non, c’est au contraire le désespoir le plus profond. Un désespoir poussant à commettre des actes inconsidérés au nom de vaines promesses.
Tout le contraire du dernier carré de résistance des Rohirrims au Gouffre de Helm, dont le désespoir se muait en charges héroïques. Un désespoir teinté d’un peu de lumière, puisque tous espèrent en réalité le retour de Gandalf à l’heure prévue pour renverser le cours de la bataille. Au Gouffre de Helm il était question de sauver, même si cela semblait voué à l’échec. A Esgaroth, il n’est question que de mort, comme si la ville entière cherchait à abréger ses souffrances, convoquant sur elle le feu du dragon.
Esgaroth et sa célébration du départ des nains vers Erebor n’en semble que plus pathétique, dénuée de sens, alimentée par la seule certitude que les choses ne pourront de toute manière être pires.

Le titre du film peut sembler presque incongru puisque la traversée de la Désolation de Smaug dure moins de 10 secondes à l’écran. Pourtant, ce titre prend tout son sens si on le dépouille de son aspect géographique. La désolation est celle apportée par le dragon, celle qui a fait d’Esgaroth un taudis, a rendu ses hommes faibles, détruit l’esprit noble de Thorin et jeté tout un peuple sur les routes.

Les derniers jours d’Esgaroth.

Peter Jackson, en grand filou qu’il est, a su parfaitement prendre la mesure de cette ambiance de fin des temps et de décadence en faisant de Lacville une Pompéi médiévale fantastique.
On retrouve dans les plans de ses canaux sales, de ces nobles huileux maculés des reliefs de leurs repas toute la dégénérescence d’une Rome Antique noyée dans ses propres excès. Esgaroth est un égout à ciel ouvert qui ne demande qu’à être rayé de la carte pour, peut-être, renaître de ses cendres.

Esgaroth, dans « La Désolation de Smaug », c’est Pompéi. Une analogie filée pendant tout le dernier acte dans ce qui s’apparente beaucoup à un remake des « Derniers Jours de Pompéi ».
Car dans la montagne qui donnait jadis sa richesse à la ville dort un mal qui va sous peu se réveiller et tout réduire en cendres. Erebor est comme un croc menaçant au-dessus de la cité qui poursuit sa déchéance sans plus se préoccuper de la menace que la Montagne Solitaire représente.
Et au moment où enfin, le dragon se réveille, exactement comme en Campanie, la catastrophe s’annonce par une série de tremblements de terre. Avant que le déluge de feu ne s’abatte (bon, ok, y’a pas eu de déluge de feu à Pompéi, mais vous avez saisi l’idée générale. Et puis Smaug est une coulée pyroclastique à lui tout seul).

Très intéressante, cette convocation d’une imagerie et d’un répertoire de références permettant au spectateur de relier le destin de la cité lacustre à celui d’une ville italienne dont le destin tragique lui a valu de nombreuses représentations à l’écran.
Intelligemment, Peter Jackson fait appel à nos souvenirs de films catastrophes en convoquant le plus emblématique d’entre eux, mettant en scène une tragédie réelle, et donc, d’autant plus marquante pour nos esprits.

Ce traitement rattrape de justesse tout le passage à Lacville, d’une inutilité assez effarante. Après avoir passé de longues minutes à regarder les nains se planquer dans la ville pour d’obscures raisons, on découvre tout soudain qu’il suffisait à Thorin d’haranguer la foule pour obtenir toutes les facilités qu’il cherchait. Exactement comme dans le livre où le séjour de la compagnie à Esgaroth est finalement très bref, et se solde par la bénédiction des habitants de la ville.

Cette idée de prolonger leur passage dans la cité lacustre procède de la même logique que celle qui avait vu considérablement modifier le personnage de Faramir dans « Les Deux Tours ». Dans le livre, en vrai homme de l’Ouest doté d’une rectitude morale à toute épreuve et d’une noblesse sans égale (Faramir, c’est une Mary-Sue), il aidait Frodon sans jamais l’inquiéter. Dans le film, les scénaristes ont jugé bon de le mettre à l’épreuve pour les besoins du film. Il s’agissait alors de créer une tension, une péripétie supplémentaire, pour dynamiser un peu l’arc de Sam et Frodon, assez pauvre en la matière à ce moment du récit.

Si je ne suis pas fan de ce Faramir revisité, j’ai fini par admettre la nécessité de cette modification de caractère, tout comme j’ai fini par trouver une certaine pertinence à ce Denethor dépeint comme l’ogre de Minas Tirith.
Ce passage en Ithilien jusqu’à Osgiliath a aussi pour effet de rallonger l’arc du Porteur de l’Anneau, ceci afin de respecter le découpage voulu dans les films, différent de celui des livres, qui exigeait entre autre que la traversée de Cirith Ungol ne se fasse que dans le troisième. Pour atteindre cet objectif sans faire sombrer le public dans l’ennui, il fallait donc en passer par un Faramir plus agressif que l’original.

Dans « La Désolation de Smaug », le faux suspens autour de la discrétion des nains, fondé sur les inquiétudes de Bard, joue exactement le même rôle puisqu’il est bel et bien destiné à diluer le voyage des nains dans le temps, afin de renforcer l’importance du compte à rebours, et tout simplement aussi, de rallonger le film.

On peut tout de même s’interroger sur la résolution de cet arc pas si idiot que ça, puisque la facilité avec laquelle Thorin retourne le bourgmestre et la ville tout entière tend à rendre superflu le luxe de précaution dont Bard s’est entouré. Limite si tout le passage aurait gagné à être réduit à la capture des nains dès l’entrée dans Esgaroth, leur comparution devant le bourgmestre, leur triomphe et l’incarcération de Bard.
On touche ici à un problème de cohérence interne qui m’amène à me poser des questions sur les capacités de cette équipe de scénaristes à écrire des histoires originales. Contraints de sortir du canon, ils improvisent maladroitement, comme ils l’ont déjà fait dans le passé sur l’arc d’Arwen, écrit sans logique ni cohérence, soumis à de multiples révisions (arc qui contient tout de même la plus belle scène de toute la trilogie).
Des lourdeurs et maladresses que l’on retrouve du reste dans l’arc incroyablement mauvais qu’est le triangle amoureux.

Rythme ! Montage !

Pour les trois au fond qui pensent encore que le montage consiste à coller des morceaux de films à d’autres morceaux de films pour faire un film, je me permets de rappeler qu’il s’agit d’un travail de précision, dont dépend énormément la qualité de ce que l’on verra par la suite à l’écran.

Bon, je vais tout de suite râler très fort afin de ne pas donner l’impression d’avoir mangé un arc-en-ciel ce matin.
J’ai vraiment trouvé le rythme du film erratique. Disons que la première partie va très vite, trop vite, avec une traversée de Mirkwood d’une rapidité déconcertante, un passage chez les elfes très mal équilibré entre trop de temps accordé à Kili/Tauriel et pas assez aux exploits de Bilbo, un séjour chez Beorn qui frise la plaisanterie tant il est réduit à la portion congrue (bien qu’il soit utile pour poser l’ambiance du film), bref, une impression de voir la première moitié du film précipitée vers une seconde partie plus posée, plus lente, développant entre autre un final grandiose bien mieux réussi que tout ce qui a pu précéder.
Notez que je dis ça maintenant. Je disais la même chose sur « Les Deux Tours » à l’époque de sa sortie, et aujourd’hui je le trouve vraiment bien, même si je me fais toujours autant suer avec Sam et Frodon, mais c’est uniquement parce que plus ça va, et plus Elijah Wood me sort par les yeux.

Malgré ces fautes de rythme, il faut noter la précision des enchaînements entre les séquences, l’habileté avec laquelle on relie toujours l’Anneau aux scènes à Dol Guldur, où chaque élément annoncé arrive dans la scène suivante, comme un motif visuel qui se répète soudain et s’amplifie.
Limite, dans le genre, seul « Cloud Atlas » peut prétendre cette année à posséder une cohérence interne, une fluidité, une harmonie aussi précise et aussi belle.

Montage qui se doit d’être précis parce qu’il jongle entre différents groupes de personnages, à la fois pour le bien de l’histoire, mais aussi parce que Peter Jackson place là encore un effet miroir des « Deux Tours » qui présentait une narration éclatée par la dissolution de la Communauté. La recette est ici reprise, mais le résultat est bien moins harmonieux en raison du manque d’implication émotionnelle envers certains personnages.
Si à l’échelle du film tout semble s’enchaîner avec une aisance folle, à l’échelle cette fois des certaines scènes, on frise le montageasme. Sérieusement, la scène des tonneaux…

Peter you rock.

La scène des tonneaux…

Ah.

La scène des tonneaux.

Quiconque a lu « Bilbo » attendait le film quasi exclusivement pour cette scène là. Et Smaug. Et la Bataille des Cinq Armées. Et Thorin. Et les elfes. Ok, quiconque a lu « le Hobbit » attendait « Le Hobbit ».

Mais la scène des tonneaux est un passage mythique du roman, une astuce drôle mettant en valeur l’ingéniosité de Bilbo et totalement dans le ton du reste du livre, parce que malicieuse.
Dans le cadre d’un réajustement du ton du film sur la trilogie de l’Anneau, Peter Jackson ne pouvait guère se contenter d’une séquence « La Croisière S’amuse ».
Même si j’attendais un peu une blague genre, « eh, Thorin ! C’est quoi ton petit nom déjà ? Fût de Chêne ? » (je ne vivrais pas deux minutes dans cet univers. Une blague comme ça et je meurs dans la seconde, la hache d’un seigneur nain dans la carotide), j’avoue ne pas avoir été déçue par la dite séquence, très gros morceau d’action casé à la moitié du film, et gros gros gros geekasme de ma part, malgré Tauriel et cette étrange envie que j’ai eu d’hurler en pleine salle : « Arrow in the knee !!!!!!! » #skyrim.

Sérieusement, ceux qui ont joué à Skyrim et qui y ont pensé tout de suite, levez la main, on se sentira moins seuls.

La dite scène est un casse-tête de tous les instants. Imaginez un peu 14 tonneaux qui dévalent une rivière à grande vitesse, poursuivis par les elfes et des orcs se tapant mutuellement sur la tête.
Maintenant imaginez en faire une scène parfaitement lisible, écrite comme un court métrage avec climax et résolutions de climax, le tout en y injectant de l’héroïsme, du stress, du rire et en nappant le tout d’une bonne dose d’adrénaline.

Non, il n’y a pas 42 réalisateurs sur cette planète capables de s’en sortir avec pareil brio. Entre un montage redoutablement précis jonglant entre les plans globaux définissant géographiquement l’action, et les plans plus resserrés sur les actions des uns et des autres, les enchaînements entre ces différents types de plans, les modifications de l’échelle au sein d’un même plan séquence, on obtient une séquence complètement folle, parfaitement orchestrée et maîtrisée sur le bout des ongles.
Avec en point d’orgue de cette séquence, ce passage totalement fun, totalement drôle et complètement génial de Bombur en warmachine.
Voyez, tellement conquise par la scène que j’en oublie de vous parler des legoleries de Legolas.

Autre passage complètement réussi, au-delà même de mes espérances les plus folles : Smaug.

Vous qui êtes des lecteurs fidèles et aimez mes textes longs comme des jours sans pain savez combien j’attendais fébrilement le moment où mon regard se poserait sur un de mes plus gros fantasmes littéraire/cinématographique.
J’avais déjà eu un choc en découvrant la splendeur du dragon dans « La Légende de Beowulf » de Robert Zemeckis, dragon du poème qui avait d’ailleurs inspiré Tolkien pour l’écriture du « Hobbit ».
Alors Smaug…

S’en était rendu au point où quand son visuel a été révélé 15 jours avant la sortie du film, j’ai boycotté Facebook où nombre de mes abonnements/contacts se faisaient un malin plaisir de publier des images du dragon.

Et donc…

Et donc, non seulement a-t-il su combler toutes mes exigences, mais Peter Jackson s’est-il fendu d’un superbe travail de mise en scène magnifiant sa présence à l’écran #enthousiasme.

L’idée de confier le rôle du dragon à un acteur qui sera perfcapturé était très clairement la meilleure option à prendre.
Dans ce rôle, mon voisin de palier, Benedict, excelle. Facile, il est déjà reptilien au naturel, pas besoin de se forcer beaucoup.

Déjà partiellement révélé via son œil, Smaug revient dans le film exactement de la même manière. Se faisant, Peter Jackson construit un édifice à la gloire du sentiment de frustration de son spectateur.
L’œil révélé succède à ce plan aussi large qu’il est terrifiant de Bilbo, cerné de toute part par le corps encore caché mais déjà présent partout de Smaug. Le gigantisme de la bête n’est alors que suggéré à notre œil, et notre cerveau n’a plus qu’à faire son office d’élucubrations. Conditionnés par cette rapide évocation de la créature, nous attendons donc de la voir enfin, et lorsque Smaug glisse lentement vers le Hobbit, nous sommes comme Bilbo, pris au piège. Un piège entre notre envie dévorante de le voir enfin et la peur primaire d’être confronté au dragon.
Et à l’instant où sa tête émerge enfin du tas d’or, habile, Peter Jackson utilise un joker inattendu : l’Anneau.

L’effet sfumato produit par l’Unique nous maintient encore pour quelques minutes dans un état de suspension, entre révélation du dragon dont on distingue le corps et tentative bien vaine de nous voiler la face (« oh, il n’est pas SI impressionnant que cela, après tout, regardez-le, il est flou ! Ahah ! »).
L’habileté repose aussi sur la construction de cette première confrontation entre Smaug et Bilbo. Puisque nous sommes complètement investis dans la peau du Hobbit, notre poisson pilote dans cette aventure depuis le début, comme lui, on se raccroche à la protection que nous offre l’Anneau.
Pour Bilbo, l’invisibilité est la garantie de ne pas se faire bouffer tout cru par le dragon. Pour nous, inconsciemment, c’est la possibilité de voir le monstre sans le voir. L’effet de suggestion est plus puissant que l’exposition et c’est parce que Peter Jackson retient son dragon le plus longtemps possible que l’effet de son apparition en majesté est si puissant.
Force est de reconnaître que rien n’a été raté avec Smaug, à la hauteur de la perversité de son modèle sur papier. De la même manière, sa confrontation avec Thorin et la course poursuite dans la montagne contribuent à redresser le niveau général du film. Le spectacle est généreux, la résolution du climax inventive et même si l’aspect visuel de la statue d’or est galeux, la manière dont la bande à Thorin s’imagine se débarrasser de Smaug est parfaitement amenée.

Sauf pour tous ceux qui connaissent Le Trône de Fer et qui se sont exclamés en chœur :
« FIRE CANNOT KILL THE DRAGON §§§§§Â Â»









« Eh Thorin ! Tu m’as pris pour qui ? Viserys Targaryen ? »

Et ce final donc, terrifiant et splendide, sanctionné par ce « Qu’avons-nous fait ? » de Bilbo, concluant magistralement ce thème de l’ennemi intérieur tel que filé d’un bout à l’autre du film.

Véritable star du film, Smaug dynamite la fin de « La Désolation » tant dans ses affrontements verbaux avec Bilbo ou Thorin que dans sa mise en scène. Pour le coup, et je le dis sans réserve aucune, les scènes avec Smaug sont carrément le sommet de l’heroic fantasy au cinéma.

Sans que ceci n’enlève son mérite à la trilogie de l’Anneau, il faut reconnaître à la dernière demi-heure de « La Désolation » son caractère fondateur, dont les mécaniques seront sans nul doute abondamment copiées dans les années à venir sans jamais parvenir au niveau de l’original. Car entre le jeu des échelles, la mise en scène décomplexée et libre qui façonne l’ensemble, la perfection de ce dragon dont on jurerait qu’il est fait de chair et de sang et non pas de pixels, la course-poursuite hallucinée et la conclusion plus épique tu meurs, tout concourt à faire de ce passage un monument du Septième Art.

Peter you loose.

You loose parce que vraiment, je ne sais pas si une trilogie était réellement nécessaire. Certes, « La Désolation » est l’épisode du milieu qui va donc logiquement un peu traîner la patte entre l’exposition et le grand dénouement, mais il faut être réaliste et considérer que les enjeux sont dans ce film extrêmement limités.
Et surtout, plus que de le découpage en 3 épisodes, c’est leur durée qui me chagrine. 2h40 pour « La Désolation », c’est à la fois trop et trop peu, signe que quelque chose est mal dosé dans le scénario. Au hasard, Peter, tu vires Tauriel, et pif pouf magie, tu gagnes du temps pour raconter des choses vraiment intéressantes.
Au jeu des miroirs on ne s’intéresse pas autant au destin d’Esgaroth qu’à celui d’Edoras. L’empathie n’existe nullement entre le spectateur et ces personnages que l’on regarde suspendus à un destin tragique sans que cela ne sous émeuve.

You loose aussi parce que de Hobbit, je n’en ai guère vu dans cet opus, Bilbo ne revenant sur le devant de la scène que dans la toute dernière partie, mais en retrait le reste du film.
Y compris, et ça, c’est plus grave, au royaume des elfes où son stratagème pour faire évacuer les nains se déroule hors champ parce qu’on est occupé à écouter Tauriel raconter à Kili qu’elle adore se promener toute nue sous les étoiles.
C’est vraiment tout bête, mais le fait que Bilbo ne soit pas montré en train d’élaborer son plan et en train de galérer pour le mettre en œuvre suffit à tuer toute tension dans cette scène. Lorsque le Hobbit surgit, nous avons certes la surprise de découvrir le mode d’évasion qu’il a choisi, mais nous avons aussi et surtout la sensation de nous trouver face à un Bilbus ex Machina. Qu’importent les elfes, si vous avez un Hobbit sur vous pour sauver la mise !




Dans ce film, Bilbo ne semble plus être le narrateur, le référent de cette histoire, mais un type qui se promène dans le champ et le spectateur y perd son point de repère le plus précieux. Là où « Les Deux Tours » parvenaient à nous maintenir impliqués en suivant la route de héros bien connus depuis le premier film, les lubies naniques de Tauriel ou les agacements de Bard nous indiffèrent parce que l’on nous les sert d’entrée de jeu, sans passer par le regard d’un personnage qui nous serait plus familier. Le résultat s’en fait donc sentir, on se fiche un peu de savoir ce qu’il va bien pouvoir arriver à ces gens.

Problème également, le fait que Legolas ne ressemble plus du tout à Legolas ne permet plus de jouer avec la nostalgie du public qui serait content de retrouver un visage familier.
Je ne parle pas ici du fait qu’Orlando Bloom a pris 10 ans dans sa tronche de jeune premier et environ 15 kilos de muscle, non, je parle du fait que le Legolas de la trilogie qui n’ouvrait le bec que pour causer « d’aube rouge » (un bien mauvais film) ou de « menaces qui grandissent dans son esprit » est soudain devenu un genre d’Action Joe aux oreilles pointues. Comprendre un mec. Un mec, pas un elfe donc.
Un problème sur lequel je reviendrai un peu plus tard.


Il y a aussi des coquilles, scories dans un scénario dont on se demande s’il a été relu, ou consignes de jeu données aux acteurs en dépit du bon sens, à tel point qu’il est légitime de s’interroger sur l’implication réelle que les gens avaient sur le plateau.
Prenons trois scènes illustrant mon propos.

1-Thorin cherche l’escalier de Durin : le nez dans sa carte, dos à la montagne, contemplant le lac, le prince annonce d’une voix dont la profondeur le dispute à l’enthousiasme fébrile « La porte devrait être juste au-dessus de nous ! »
Mais toi, mon bon Thorin, tu regardes dans la direction opposée. Je sais pas, tu devrais pas plutôt dire cette phrase en faisant FACE à la montagne et le levant le nez en l’air ?
Festival de WTF garanti car quelques secondes plus tard, Bilbo, qui lui est tourné dans le bon sens avec le nez en l’air, tombe benoîtement sur l’escalier recherché. « Vous avez de bons yeux maître Sacquet », le félicite Thorin au comble du bonheur.
C’est là que j’ai compris. Les nains ont de très gros problèmes de vue. En fait, quand Thorin cherche une porte dans la montagne en regardant vers la plaine, ce n’est pas de sa faute, c’est juste qu’il fait pas la différence entre un large espace ouvert et wattmille tonnes de pierre. Pauvre choupinet.
Voici pour quoi Bilbo est le seul capable de remarquer une très discrète statue de 42 mètres de haut pour approximativement 20 mètres de large située juste à 10 mètres de leur position.
Voyez comme tout s’explique.

2-Thorin cherche le trou de la serrure : « Alors, soldat ? On trouve pas le trou ? » semble dire Bilbo en regardant les nains s’activer.
Pendant, ce temps, Thorin, toujours tourné vers la plaine, décidément : « Bon alors la carte dit… « Gnagna tagazok, gnagna la porte secrète, gnagna la dernière lumière du jour de Durin, ok, donc, le jour de Durin c’est aujourd’hui, la porte est là, gnagna, la serrure révèlera, gna. Bon, ben les mecs, je crois qu’on est bon, y’a plus qu’à se mettre pile entre les derniers rayons du soleil et la porte, comme ça on sera sûrs de faire écran et de ne pas trouver le trou ! »
Levez la main tous ceux qui ont eu comme moi envie de se lever dans la salle pour leur hurler « OTEZ-VOUS DE CE SOLEIL !!!!!!!! NOOBS ! »
Direction d’acteur au poil, GG, Peter, grâce te soit rendue.

3-Tauriel bug sur l’athelas : surgissant comme une fleur des champs au beau milieu d’Esgaroth pour sauver le petit nain poilu dont elle s’est amourachée en deux minutes et une discussion sur l’astronomie, Tauriel intercepte Bifur qui revient justement avec de l’athelas, la fleur des rois, pour tenter de guérir un Kili fort mal en point.
S’emparant des plantes, l’elfe reste trois plombes à les regarder en murmurant « athelaaaaaassssss », un peu comme Gollum devant son Précieux ou une grosse junkie devant de l’afghane. Au choix les enfants. Alors que Bifur et la salle toute entière se demandent « mais que se passe-t-il ? », Tauriel continue à loucher sur les herbes jusqu’à ce que le nain l’interroge quand même sur ce qu’elle compte faire avec ses plantes ? « Je vais le sauver », dit-elle alors. Merci Mamina, il est mort #papifaitdelaRésistance

J’ajoute également ce moment où après avoir raté la lumière du soleil parce qu’ils étaient tous devant à faire de l’ombre, les nains décident en deux secondes de tout laisser tomber et de rentrer chez leur mémé.
Moi aussi, comme Bilbo, j’avais envie de leur crier « mais vous abandonnez trop facilement, mais vous êtes tous nuls !!!! » (si, ce sont exactement ses mots). Non parce que c’est pas comme si ils avaient affronté mille périls, marché des kilomètres et noué des liens à la vie à la mort.
Heureusement, la conclusion de ce passage, le retour méga classe d’un Thorin en majesté, tout en émotion contenue, et la téléportation surprise de tous les nains pile devant la porte alors qu’ils étaient presque rendus en bas de l’escalier dans le plan précédent, sauvent un peu la mise. Un peu, à cause de la téléportation.

L’accumulation de ces petites choses laisse une impression désagréable qui va au-delà d’un désaccord que je pourrais avoir avec la vision que Peter Jackson a de cet univers. On est très loin d’interprétations contestables et somme toute personnelles. On est dans la bourde, dans la scène mal écrite, la consigne de jeu illogique. Pire, on bascule là vers quelque chose que la trilogie ne possédait pas : une dimension nanarde.
Ce n’est pas une vision des choses, une idée cinématographiquement plus pertinente venant remplacer une scène du livre, c’est juste nul et indéfendable.

Il y a de manière générale dans ce film une impression désagréable de survol sur beaucoup d’éléments.
Prenez Beorn, et ses deux minutes de présence à l’écran. Un des personnages que j’attendais le plus et qui passe pour le weirdo qui vit tout seul avec des poneyz (well well…) et se change en ours velu à la nuit tombée.
Ce traitement insipide est d’autant plus étonnant que le roman servait presque un prétexte somptueux à Peter Jackson pour jouer à nouveau au jeu des miroirs en offrant une scène de repas digne de ce nom qui aurait permis de poser ce qui manque cruellement ici : une ambiance. Beorn ne semble être là que pour amorcer le thème du désespoir et du mal couvant le monde qui sera au cœur du film.
Une étape trop rapide, qui semble quasi anecdotique comme le sera la confrontation avec les araignées trop rapidement réglée, surtout lorsque Bilbo s’en tire en sortant son épée dans une position où il lui est physiquement impossible de le faire. Je ne conteste pas la facilité en elle-même, nécessaire à l’histoire, mais bien le fait que la mise en scène soit assez brouillonne à cet instant, donnant l’impression que le Hobbit dégaine en une secondes alors qu’il a l’épée au fourreau, les bras le long du corps et qu’il est emmailloté dans une toile d’araignée. Sans doute un petit raccourci dû au montage, nous privant de le voir se tortiller pour atteindre sa lame. Sans doute.
Idem dans le royaume sylvain avec une confrontation entre Thorin et Thranduil très courte, alors qu’elle aurait pu être l’occasion d’en dire davantage sur les origines de l’antagonisme entre les elfes et les nains (se sont ces derniers qui ont commencé, après tout, en massacrant un ancêtre de Thranduil), tout comme les relations entre Thranduil et Legolas qui se trouvent masquées par le temps investi pour déployer le personnage de Tauriel et son triangle amoureux.

La première moitié du film ressemble du coup à un enchaînement rapide de péripéties sans grand intérêt, rythmées par des tâches à accomplir pour s’en tirer.
Analogie que je n’aime pas employer dans ce sens parce qu’elle a trop souvent dans la presse des connotations négatives, mais la première partie ressemble à un jeu vidéo (et pas forcément un bon en plus) dans sa construction : première map, courir dans la plaine en évitant les orcs, deuxième map, la forêt, troisième map, le roi des elfes, avec des dialogues faisant office de cinématiques.
Mon parallèle est un peu bancal, mais c’est vraiment la sensation que j’ai eu. En général, j’apprécie beaucoup les incursions vidéoludiques dans le cinéma, comme c’était le cas dans le premier « Hobbit » justement, pour la scène de la fuite de Goblintown, et comme c’est le cas ici pour la scène des tonneaux, mais c’est bien dans le découpage un peu stérile de ces péripéties que j’ai la sensation de retrouver un vieux jeu de plateforme très ennuyeux. Et c’est vraiment dommage.

Autre mauvaise surprise de cet opus : Thorin.
J’ai déploré l’absence de Bilbo dans ce film mais notre prince en exil préféré est tout aussi mis en retrait dans cet épisode qui échoue à le mettre en valeur. Sans doute est-ce là un problème dû au montage, privilégiant des scènes où Tauriel minaude entre Kili et Legolas.
L’année dernière, j’avais loué le travail fait autour de cette personnalité très forte et marquante dans l’univers de Tolkien, mais cette fois, je ne sais pas, à certains moments, j’étais presque surprise de le retrouver là.
Surprise aussi que ce qui avait été amorcé l’an passé, à savoir sa bromance avec Bilbo, passe totalement à la trappe. Tout juste perçoit-on leur complicité/complémentarité lorsque le Hobbit sollicite son appui pour faire entrer les nains dans les tonneaux. Pour le reste, c’est tout juste si j’arrive à me souvenir de ce qu’il fiche pendant les 2h40.
Pour la faire courte, à l’issue du premier film, s’il me l’avait demandé, je serais allée mourir pour lui. Là, je pense que je l’enverrais se faire voir chez les Grecs. C’est qui ce petit mec nerveux, sérieux ?

La deuxième partie du film lui rend un peu de sa superbe, entre son discours à Esgaroth (où son image se voit justement ternie), l’ouverture de la porte de Durin, et toute la partie où il court devant Smaug, avec en point d’orgue son défi au dragon juché sur l’épaule de la statue d’or. Grosse grosse classe, et une fois encore un excellent travail de Richard Armitage qui n’a rien à envier à Martin Freeman et sa géniale composition sur Bilbo Baggins.
C’est bien d’ailleurs là tout le problème. Leurs rapports conflictuels dans le premier opus ayant trouvé une résolution à la fin du « Voyage Inattendu », je m’attendais à voir explorer cette nouvelle facette de leur relation.
Se fut peine perdue et c’est précisément cette absence de relation entre les deux personnages emblématiques du premier film qui fait échouer les menaces de Smaug quand il explique à Bilbo que Thorin est en train de se servir de lui. L’attitude agressive du nain réclamant l’Arkenstone à son voleur tombe de fait à plat.



L’idée, on le comprend, était de présenter Smaug comme un manipulateur, essayant de déstabiliser Bilbo en le faisant douter du bien-fondé de sa présence dans Erebor.
Le Hobbit, comme le public, devaient être amenés à douter de l’affirmation du dragon.
Puis, au moment où Thorin menace Bilbo si ce dernier ne lui donne pas l’Arkestone, tout le monde aurait du ressentir son geste comme une trahison. Et comprendre la volonté du Hobbit de cacher au nain qu’il est en possession du joyau.
La relation entre Bilbo et Thorin n’existant plus dans ce film, le ressors dramatique ne fonctionne pas, d’autant que Peter Jackson choisit de cacher au public (bien mal, du reste) que le Hobbit a réussi sa mission, espérant sans doute retarder l’exhibition du trophée pour en faire une surprise dans le troisième film.

Le hic est aussi que Peter Jackson ne semble savoir que faire du temps qui lui est imparti. Presque trois heures sur chaque film, sur la base d’un livre qui compte 300 pages et qu’il comptait enrichir avec des éléments des appendices.
Et finalement pour quoi ?
Pour voir ce qui est important expédié au profit d’inventions qui n’apportent pas grand-chose à l’histoire et lui font perdre un temps considérable.
Le conflit irréductible entre les elfes et les nains, au lieu de se voir traité par des interactions entre les deux races, est sacrifié au profit d’un triangle amoureux sans intérêt, dont la mise en scène sombre très vite dans le ridicule le plus total (sérieux, Kili la tête dans les noix et Evangéline Lilly rétroéclairée… On est pas trop loin de Cashmere et Gloss dans « Hunger Games »).
Plus grave encore, « Le Seigneur des Anneaux » s’avérait, malgré des défauts que l’on retrouve d’ailleurs dans « Le Hobbit », un remarquable travail de déploiement d’un univers. Les décors, par la manière dont ils étaient habités de personnages, de ruines, et par leur ampleur, contribuaient à faire prendre vie à la Terre du Milieu.
Ici, et c’est une amère déception, on a la sensation de passer d’un tableau à l’autre, sans jamais arpenter l’univers crée par Tolkien et revisité par Peter Jackson. Pour la première fois la sensation de regarder l’heroic fantasy de qualité moyenne se fait jour et vient parasiter le ressenti globalement sur ce film qui manque de vie, même s’il possède une belle ambition thématique. Mirkwook m’a semblé par exemple anormalement petite comme forêt… La Lorien dans « La Communauté » semble 10 à 15 fois plus grande.

Comme si pour une raison inconnue, peut-être parce que l’on entre aussi dans des territoires qui nous sont inconnus, contrairement à l’Eriador traversé dans le premier film, Peter Jackson oubliait ce qui fait une grande partie de la force des écrits de Tolkien : la crédibilité de son monde et son mouvement perpétuel.

Cette intro, misère, non…

Mon sentiment de déception est venu très tôt dans « La Désolation de Smaug ». Dès les premières minutes, pour ne pas dire, dès les premières secondes.
Ouverture, Bree, village où il pleut visiblement tous les jours de l’année depuis un truc comme 60 ans. Un nain dans la rue, ok, je me dis, c’est Thorin, Thorin qui va rencontrer Gandalf pour lancer sa quête, parce que je sais que ça se passe comme ça.

Bon.

Non.

Pas ce…

Quoi ?

J’ai…

Caméo le plus moisi de tous les temps, je crois bien, celui de Peter Jackson reprenant son rôle du mec à la carotte dans « La Communauté de l’Anneau ».
Dès les premières secondes, j’avais le sentiment qu’en fait, le réalisateur n’en avait strictement plus rien à faire de son film. Pourquoi ?
C’est tout bête, mais parce que le type à la carotte croise la route de Frodon dans « La Communauté ». 60 ans après. Il ne peut donc pas être là peinard à bouffer des tubercules dans la rue 60 ans avant.
Oh, oui, je sais, on me dirait « Cay son payre ! » ou « Son grand payre ! »



« Carotteman, je suis ton payre ! »

Rien n’y fera parce que je sais que ce type ce n’est pas le pépé du type à la carotte, c’est le même, c’est un clin d’œil. Et c’est nul. Voilà.

Nul et plus encore parce que je ne sais pas vous mais moi, je m’attendais à quelque chose de plus spectaculaire, abusée que j’étais par la splendide intro des « Deux Tours », la chute de Gandalf et du Balrog.
Naïvement, je m’attendais à autre chose que Thorin Oakenshield en train de manger du brie à Bree.

Je crois me souvenir qu’à l’origine, la séquence de la bataille d’Azanulbizar devait apparaître dans « La Désolation » avant d’être finalement intégrée au montage du « Voyage Inattendu ». Peut-être que cette magnifique séquence aurait pu servir d’intro flamboyante au deuxième film…

Quoi qu’il en soit, j’ai débuté le film avec un très mauvais a priori uniquement à cause de ces quelques minutes petit bras, qui aurait pu aisément être résumées en deux lignes de dialogue.

«-Je connais Gandalf depuis l’enfance, et vous Thorin ?
Je l’ai rencontré à Bree, quelques semaines avant vous. »

Voir même pas du tout, après tout Gandalf passant son temps à zoner en Terre du Milieu, quoi de plus normal que les deux se soient un jour croisés ?

Autre intro possible, la rencontre de Gandalf avec Thrain, père de Thorin, afin d’expliquer comment le magicien est entré en possession de la carte et de la clé. Une scène tournée dont on peut trouver moult photos de par le web et qui eut été autrement plus intéressante que l’intro présentée ici.
Mais une scène que nous ne retrouverons que dans la version longue de la « Désolation », selon Philippa Boyens (dans cette splendide interview)…

Il faudra donc se contenter pour l’éternité de cette mise en abime de l’être nain mangeant du fromage dans une ville au nom de fromage.

Sauron strikes back.

L’arc le plus bancal reste tout de même celui de Gandalf, dont les actes et les motivations me semblent difficiles à comprendre pour quiconque n’a pas lu le livre. Gandalf qui abandonne les nains à l’orée de la forêt über dangereuse parce qu’il a un flashback de Galadriel ? Parce qu’elle lui parle dans sa tête ?
Dans le livre, après avoir sauvé les précieuses miches de la bande, il se carapatait poursuivre son enquête sur Dol Guldur. Tout simplement. Ici, on dirait juste une brutale envie, comme si soudain, Gandalf s’était dit « tiens, je mangerais bien des burritos de Rosghobel, moi« , et hop.
Et que dire de son escapade « quelque part » pour y faire « quelque chose » ?

Détaillons un peu cette scène comme un non-lecteur pourrait la comprendre : Gandalf fait de la varappe, puis enchaîne sur un peu de spéléo. Il manque de sa casser la gueule, deux fois, dans un genre de puit, et soudain, paf, Radagast lui pop dans le dos.

«-Salut Gandalf.
Salut Radagast.
Drôle d’endroit pour un rendez-vous.
En effet.
Et sinon, la famille toussa ?
Bienbien.
Bon, on fait quoi ?
On prend des airs pénétrés en contemplant des grilles explosées et en disant qu’il y en a neuf, priant pour que les spectateurs qui ont vu « Le Retour du Roi » il y a 10 ans se souviennent que c’est le nombre des Nazguls.
Balaise…
Ouais. Si on se téléportait à l’extérieur pour annoncer la fin du monde ? Et après, on ira se faire des burritos.
Bonne idée.« 

Suite à quoi, on retrouve Gandalf à Dol Guldur, toujours sans espoir de comprendre où il est sur la carte, et comment il est arrivé là.
C’est d’ailleurs là que pêche aussi pas mal « La Désolation » : très peu de géolocalisation. Le profane peut s’y perdre, et ressentir, comme le lecteur, la sensation de regarder une succession de tableaux sans liants entre eux.
Souvenez-vous de la scène des « Deux Tours » où l’aide de camp de Faramir présentait à son capitaine la position des troupes alliées et ennemies sur la carte : elle ne sert en fait qu’à situer les positions de tous les protagonistes non pas pour Faramir, mais pour le spectateur.

Retour à Dol Guldur, où Gandalf décide d’entrer dans la forteresse avec sa bite et son couteau de Gondolin. Radagast et les spectateurs lui hurlent qu’il est fou, mais rien à faire, Gandalf c’est un déglingo !

«-Allez donc dire à dame Galadriel que je me suis fourré dans un merdier pas possible, mon bon Radagast !
Ah bon ? It’s a trap ?
Mais oui !!!! C’est même pour ça que je fonce dedans tête baissée et sans raison aucune ! »

Et Radagast de s’en aller prévenir Galadriel pour amorcer la future bataille de Dol Guldur de l’épisode 3.
Indeed.

A ce stade de l’arc de Gandalf, j’en étais déjà à ronger le bras de la voisine pour retenir mes cris de douleur. La pauvre, son stoïcisme soit loué.
Mais le pire reste à venir. Dans Dol Guldur, Gandalf se prend l’envie de dissiper le sort d’occultation qui protège les lieux.
Dans le genre suicidaire, le seul truc plus efficace reste un Polonais homosexuel de confession juive traversant Berlin en roulotte en 1942 avec des pancartes « Aux chiottes Hitler ! ».

Mais comme rien ne peut entamer l’enthousiasme de Gandalf, il continue son dispell tranquillou jusqu’à se prendre Azog sur le coin du museau.
J’avoue que la séquence de combat est plutôt classe, avec un vrai duel de magie entre Gandalf et le Nécromancien qui révèle enfin sa véritable identitay, qui n’est autre que, surprise, Sauron.
J’ai apprécié également l’effet un peu psychédélique du triple avalage de ma face par le Maia maléfique, qui prend tout son sens et toute sa puissance en Imax 3D HFR. Et qui est un miroir de sa séquence psychédélique des « Deux Tours » où Gandalf le Blanc explique avoir traversé tous les âges du monde après sa victoire contre le Balrog. Miroir habile car il aborde pour ces deux personnages de même essence, la même notion de renaissance.

Beaucoup s’interrogent sur la pertinence de cette révélation de Sauron, qui entrerait en contradiction avec la trilogie de l’Anneau où Gandalf serait supposé découvrir son retour.
En réalité, la révélation de l’identité du Nécromancien ne change rien car il est acquis dans « Le Seigneur des Anneaux » que Sauron est depuis longtemps revenu. C’est la redécouverte de l’Anneau qui précipite l’histoire, non pas la prise de conscience que « Ah merde, en fait, si y’a un gros œil au-dessus de Barad Dur c’est peut-être parce que le taulier est revenu, on y avait pas pensé avant ! ».

Dans « Le Seigneur des Anneaux », tout le monde sait que Sauron vit au Mordor, attendant son heure. On le connaît tellement bien que les hommes du Gondor doivent renforcer leurs défenses en Ithilien, perdent régulièrement la ville d’Osgiliath, et que les Rohirrims se font voler des chevaux par les orcs depuis des années.

Comme dans les livres, la résolution de cette affaire est finalement assez simple et l’identité révélée du Nécromancien ne change pas grand-chose.
Il est probable que Galadriel surgisse avec Radagast et d’autres renforts pour sauver Gandalf, botter le cul de Sauron qui s’en ira alors, affaibli, se réfugier en Mordor avec ce qu’il reste de son armée.
J’imagine assez bien le film se conclure sur un avertissement de Galadriel, enjoignant les autres à rester vigilants.

S’il n’y a pas de problème de continuité entre les deux trilogies, il n’en reste pas moins que l’arc de Gandalf est prodigieusement mal écrit dans cet opus, pauvrement motivé et reposant sur des ressors au mieux complètement artificiels (la présence de Radagast n’est utile QUE pour alerter les elfes de Lorien, par exemple).

To be continued…

Fait également couler beaucoup d’encre le cliff cruel sur lequel s’achève « La Désolation de Smaug », après cette somptueuse cumberbatchienne réplique : « I AM THE FIRE… I AM …. DEEEEAAAAATH ! »

Perso, je suis morte de l’intérieur, mais dans le bon sens du terme. Le cut, brutal et quasi insoutenable restait pourtant le meilleur moyen de conclure le film.
Premièrement parce que le travail autour d’un rapprochement Esgaroth/Pompéi fait admirablement bien le boulot question montée en pression. Le public est conditionné par ce parallèle à attendre un acte de violence inouïe et une destruction massive de la cité lacustre. A-t-il besoin qu’on la lui montre ?
Sans doute pas. La tension de la scène repose précisément sur ce cut, après cette sublimissime séquence du dragon couvert de l’or de la montagne (symbole), prenant majestueusement son envol (morte de l’intérieur, je vous dis). Tout acte de destruction, toute résolution du climax eut été superflue car elle aurait fait descendre la pression et se serait révélée contre-productive.

Il est par contre logique de s’interroger sur la place que prendra la destruction d’Esgaroth dans le troisième film.

J’active donc séance tenante une balise spoiler.

SPOILERS !!!!

La chute du dragon et la bataille des Cinq Armées seront sans doute traitées à la manière du siège de Minas Tirith et de la bataille du Morannon dans « Le Retour du Roi ».
Avec la nécessité de traiter des side adventures de Gandalf à Dol Guldur, on a déjà l’assurance d’un montage alterné pour faire durer le plaisir assez longtemps.

Je vois par exemple très mal Smaug se contenter d’une seule attaque sur Esgaroth. Un premier passage, une dispersion des héros vers les rives du lac, et j’imagine assez Bard motivant les survivants pour reprendre leur ville des griffes du dragon, dans un dernier acte d’héroïsme désespéré. Son fils ayant pris soin d’installer la flèche noire sur la baliste en mode Pippin allumant le feu l’alarme de Minas Tirith, il ne lui restera plus qu’à s’emparer de l’arme pour descendre lui-même la bête, rejouant là le rôle d’Eowyn tuant le Roi Sorcier.
Smaug mort, on peut alors préparer la bataille des Cinq Armées qui devrait occuper la deuxième moitié du film.
Je n’ai pas trop d’inquiétude quant à la gestion du timing de la mort de Smaug. Peter Jackson peut se foirer sur certaines choses, mais rarement sur le découpage de ses films.

Enfin, tout ça pour dire vivement l’année prochaine.

Réclamation !

Pour la première fois de ma vie, je vais dire du mal du travail de Weta Digital car, même s’il m’est pénible de le reconnaitre, de nombreux inserts baveux m’ont régulièrement fait sortir du film.
La très belle scène des tonneaux pâtit régulièrement d’éléments approximatifs, comme l’eau numérique éclaboussant la caméra, sauf que ça se voit qu’elle est numérique cette eau, et c’est moche.
Ou ce plan hideux de la compagnie s’approchant de la Forêt Noire à dos de poneys, où on voit comme le nez au milieu de la figure qu’il s’agit bien de petits personnages numériques incrustés sur un décor tout aussi numérique. Est-ce que tourner cette scène aurait vraiment pris plus de temps ou même coûté plus cher que d’en confier la conception à Weta ?

Autre point noir de cet épisode du « Hobbit » et quand je dis noir, je ne plaisante pas : la colorimétrie.
Je sais que la sortie de ce film a été chaotique, pour cause de projecteurs pas vraiment adaptés au format du film, mais pour l’avoir vu deux fois dans deux formats différents (Imax 3D HFR et 3D HFR), j’ai pu amèrement constater que dans sa deuxième partie, « La Désolation » est non pas sombre, mais carrément en noir et blanc. Rien à voir avec le filtre des lunettes, j’ai vérifié.


Exemple : ces pièces étaient d’un jaune très terne tirant sur le gris pour moi. Rien à voir avec l’effet sur cette photo.

Pourtant les bandes annonces ou les photos promo ne laissaient pas présager de ce rendu franchement terne. Lors des deux séances, l’or était pâle, le dragon noir, et toutes les scènes dans Erebor, à l’exception des plans sur l’or ou la lave, dans un camaïeu de gris.
Il faudra malheureusement attendre l’exploitation en DvD/Blu Ray pour savoir si cette colorimétrie terne était due à des problèmes d’exploitation ou si Peter Jackson, face à ceux qui trouvaient le « Voyage Inattendu » trop coloré (qu’ils soient maudits), a décidé de faire machine arrière.
Je penche tout de même pour la première option (même si le retour d’une séance en 2D 24 fps a été exactement le même : film globalement terne, très peu coloré à la fin).

Même si un problème d’ajustement des couleurs dû à des projecteurs incapables de soutenir le film tel qu’il a été conçu, n’est pas la faute de Peter Jackson (c’était aux salles d’anticiper les problèmes, même si on sait que les fichiers leur sont parvenus très tard, trop tard pour signaler les soucis et les faire corriger en amont), cette désagréable impression de voir un film délavé n’a fait que s’ajouter aux effets numériques baveux déjà évoqués, et m’a encore une fois donné l’impression de regarder un film terminé un peu à la va-vite.

Les elfes en question.

Ayant revu la trilogie récemment, j’ai pu à nouveau constater à quel point les elfes sont foirés chez Peter Jackson. Je ne reviendrai pas dans le détail sur la manière dont il est passé à côté de ce peuple, pour me concentrer sur le décalage aussi violent que malvenu à mon sens entre la représentation des elfes de Fondcombe et ceux de la Forêt Noire.

A Fondcombe, on se balade dans des djellabas en soie tout en jouant de la flûte traversière avec un air éthéré.
Dans la Forêt Noire, on claque des talons et on se bourre la gueule à la cave.
Ah, et tant qu’on y est, en Lorien, on serpente entre les arbres en prenant un air mystérieux. Et globalement, on ne nous voit même pas. Comme ça c’est plus simple.

Présentés comme plus sauvages que leurs cousins d’Imladris, les elfes de Mirkwood se révèlent finalement juste plus martiaux que ces derniers. Ils ressemblent en fait beaucoup aux elfes présents au Gouffre de Helm.
Elfes dont j’avais d’ailleurs totalement oublié l’existence. J’ai presque été surprise quand ils sont arrivés. Comme quoi, j’ai vraiment la capacité d’oublier les choses qui me dérangent. Mais bref.

Mais cela ne devrait pas justifier l’absence d’elfitude chez les elfes de ce royaume. Sérieusement : des elfes qui se meuvent comme des humains, qui parlent en langage commun même entre eux, qui se murgent la tête avec une facilité déconcertante (ok, c’est dans le livre, mais remember le jeu de boisson dans « Le Retour du Roi » où Legolas ressent à peine les effets de l’alcool. Il y avait sans doute moyen de jouer là-dessus).

Voilà, je dois le dire, j’ai été déçue. Je m’attendais vraiment à ce qu’on nous présente quelque chose de maniéré comme de coutume, avec peut-être une connotation un poil plus tribale qu’à Fondcombe, ce qui eut été du reste parfaitement raccord avec ce que l’on sait des elfes de cette forêt, des gros fous de la tête qui n’ont jamais bougé de leurs arbres depuis leur création, vivent dans une caverne et qui passent l’éternité à mettre des coups de latte à des araignées géantes.
En résumé, je m’attendais à quelque chose de plus proche des Na’vi dans « Avatar ». Ouaip. Avec des êtres qui n’ont rien d’humains, se déplacent de manière étrange, portent pourquoi pas des peintures du guerre et s’habillent de manière très différente de ceux de Fondcombe.

A l’écran, j’ai eu des mecs avec de grandes oreilles déguisés en elfes.
J’extrapole sans doute à mort à partir de ma frustration, mais je pense qu’une représentation plus sauvage des elfes sylvains auraient fait gagner la romance Tauriel/Kili en crédibilité. Un surcroît d’étrangeté et d’exotisme chez la demoiselle aurait sans doute rendu son personnage plus intéressant et plus intriguant que le truc pour midinette qui nous a ici été pondu.

Et c’est ainsi que j’enchaîne, avec la grâce du méhari sur

Le cas Tauriel.

Ne nous voilons pas la face, il y a un gros souci sur la représentation des femmes dans la trilogie. Et la bilbologie lui emboîte désormais allègrement le pas.
Arwen avait été comprise par Philippa Boyens comme « l’archétype de la femme des années 50 ». Je n’invente rien, elle le dit dans les bonus de la « Communauté de l’Anneau ».
Arwen donc, femme des années 50, si tu veux, mais bon, j’avais plutôt vu le personnage comme un être doté d’un charisme remarquable, objet de vénération pour son espèce toute entière, inspirant et motivant les actes du futur roi du Gondor, le portant littéralement sur le trône tout en restant hors champ (la classe), dont la présence imbibe de nombreuses pages du livre.
Alors comment en lisant le même bouquin que moi, Philippa Boyens en est-elle arrivée à penser qu’Arwen est en fait une parfaite petite ménagère qui passe ses journées à attendre que son époux rentre à la maison pour lui servir un brandy en attendant que les bons petits plats qu’elle lui a mijotés terminent de cuire ?
COMMENT ???


« Im Arwen, telin le thaed… »

Pour Philippa Boyens, la femme moderne, la vraie, a besoin de sortir les ballz pour prouver qu’elle est vachement émancipée tu vois. Et ce, y compris dans un univers médiéval fantastique.

Ne nous étendons pas sur ce féminisme lamentable, sinon je vais encore sortir le FAMAS pour aller tirer sur des Femens. Parce que j’aime bien la proximité entre les deux noms : FAMAS/Femen.
Poésie.
Bonsoir.

Je reviens rapidement sur Arwen tout de même, dont le rôle de princesse guerrière, Xenarwen, avait été volontairement conçu comme un moyen de la rendre plus moderne en en faisant une femme d’action.
Ce qui ne l’empêchera pas d’être ensuite présentée comme une fifille à papa qui sait pas trop ce qu’elle veut, Aragorn, son père, les deux, et que je pleure, confusion, tout ça pour finir tremblante, cachée derrière un rideau, son paternel la poussant dans le dos, consentant ainsi à la donner au mâle couronné.
Arwen Undomiel, hésitante, indécise.
Mon. Dieu.

Je…

Tauriel souffre elle aussi du même syndrome consistant à en faire une Xena aux grandes oreilles pour mieux la voir glousser et minauder deux scènes plus tard.
J’ai un peu de mal entre la version de la guerrière bien badass qui déboite des araignées géantes en balançant des punchlines et celle où elle pouffe en rosissant quand Thranduil lui glisse que Legolas en ferait bien son quatre heures.
Sérieusement, qui écrit ces personnages ?

Sérieusement, c’est si dur d’écrire un personnage féminin qui ne se conduit pas comme une collégienne dès qu’on lui parle/montre un mec ?

Prenez Eowyn. Froide, réservée, mais bel et bien fascinée par Aragorn. Dans le livre, elle ne laisse guère d’ambiguïté quant à son admiration pour le dunadan, mais elle reste digne. Eowyn, en somme.
Dans le film, il y a la scène du ragoût. Que même Miranda Otto trouvait trop « girly » (je cite) pour son personnage. Ou ces plans où elle chouine parce que Aragorn, qu’elle connaît depuis deux jours, n’est pas revenu après l’attaque des wargs.
Je rêve. Et je préfère enchaîner tout de suite sur Tauriel et Kili plutôt que d’évoquer la fin tronquée de la vierge guerrière du Rohan…

Au-delà de cette idée incongrue de la romance elfe/nain, il y a surtout son traitement totalement artificiel. Sérieusement, mon petit Kili, l’elfe, tu l’as vue quoi… deux heures dans toute ta vie mais ça y est, tu es éperdument amoureux, limite tu vas aller vivre dans la forêt ?


«De toute façon, je peux plus être aventurier, je me suis pris une flèche dans le genou. »

Difficile d’y croire une seule minute. Surtout quand on nous présente deux personnages de deux espèces différentes ressemblant tous les deux vachement à des humains. Beh oui. Tauriel agit, parle (presque exclusivement en langage commun), se meut comme une humaine. Quant à Kili, il n’a pas de barbe, ce qui lui vaudra certainement l’exclusion du Valhalla des guerriers à la verticalité contrariée.
Et pourquoi ? Pour que ça ne semble pas incongru au public, qui ne se dira pas « beurk » ou « ils sont vraiment mal assortis ».
C’est dommage, parce que tout l’intérêt d’une romance entre une elfe et un nain réside justement en leur capacité réciproque à voir au-delà de leurs différences.
Dommage pour la fascination pour l’étrange, pour l’autre, et pour l’apprivoisement réciproque.
Et bonjour à la bluette sirupeuse et niaise.

Décidément, on ne m’enlèvera pas de l’esprit que la plus belle leçon en la matière a été donnée par Legolas et Gimli, voire par Gimli et Galadriel et que l’on n’aurait jamais du revenir dessus.

L’affirmation de Fran Walsh comme quoi elle voulait justement exploiter l’admiration du nain de la Communauté pour Galadriel, en développant la romance Kili/Tauriel est un faux prétexte.
Premièrement parce que montrer un conflit irréductible ne donne au final que plus de poids à l’amitié entre Legolas et Gimli dans la trilogie. Rappelons à tout hasard que cette série de film, du premier « Hobbit », au dernier « Seigneur des Anneaux », vise à la cohérence.
Ensuite parce que la romance en question n’existe QUE pour rameuter de la gonzesse en salle.

Et c’est là que de la part de deux scénaristEs, avec un E pour insister sur le fait sur se sont des femmes, on touche le fond du mépris pour leur propre sexe.
Je suis une femme DONC je ne peux pas m’intéresser au destin de 14 mecs. Je suis une femme, donc, si personne ne se roule de galoche, je vais pas voir le film.
Lire dans une interview de Fran Walsh qui m’a été transmise par le Grand Architecte, que la plus grande faiblesse du « Hobbit » est l’absence de personnages féminins me donne un peu envie de hurler.

Du coup, j’imagine un peu la réunion de travail :
«-Tu te rends compte, Philippa, pas une seule femme dans le « Hobbit » !!!
Ah zut alors ! Qu’est ce qu’on fait ? On fait revenir Galadriel ?
Je crois pas que ça suffira, on passera jamais le test Bechdel !
QUEUAH ECHEC AU TEST BECHDEL ?? CAY IMPOSSIBLE !!!! Inventons vite un personnage féminin pour remédier à ce travail de gros machiste phallocrate de merde qu’était Tolkien, hein, lui et sa vision des femmes des années 50 ! »

Avec de pareils arguments, comment vouliez-vous que ce truc fonctionne ?

Et ajouter à cela un problème de représentation des elfes, couplé à la surpuissance d’un jeu en mousse de la part de l’interprète de l’elfe concernée.
Prenez la scène où Tauriel guérit la jambe de Kili. Bon, c’est sans doute tout personnel, mais je l’ai trouvée vraiment ridicule.


Et puis cette belle erreur de continuité : comment ce type de blessure peut-il être donné par quelqu’un d’autre qu’un Nazgul, et surtout,comment une random elfette peut-elle se substituer aux pouvoirs de guérison de seigneur Elrond ?

Evangéline Lilly ne joue pas une elfe. Ça me fait mal de le dire, mais en l’espèce, Liv Tyler a fait un bien meilleur travail dans la trilogie. Certes, son personnage est écrit avec les pieds, mais au moins l’actrice fait-elle un effort réel sur la manière d’interpréter un personnage non humain : placement de la voix sur un registre très bas, manière de se déplacer en glissant sur le sol, affectation des gestes qui lui donnent une certaine hauteur, bref, il y a quelque chose dans son interprétation qui situe d’emblée son personnage dans le bon registre.
Evangéline Lilly ne fait absolument rien de tout cela, ce qui la rend totalement décalée quand elle fait une boule avec l’athelas et se met à déclamer en elfique des trucs et des machins tandis que, la tête dans les noix, Kili la regarde, fasciné.

Outre son caractère ridicule, cette romance occupe un temps d’antenne plus que conséquent. Personnellement, j’étais venu voir « Le Hobbit », pas « Triangle Amoureux dans la Forêt Noire ».
Ainsi, le fait que le stratagème de Bilbo pour faire évader les nains passe totalement à l’as parce qu’on est occupé à regarder Tauriel roucouler avec Kili m’a vraiment vraiment (encore un) vraiment énervée.
La scène de leur libération semble tomber comme un cheveu sur la soupe, faisant presque passer l’exploit de Bilbo pour un évènement anodin, ou pire, normal. Alors que toute la quête est suspendue à son ingéniosité à cet instant précis, comme le souligne une réplique de Thorin suggérant aux autres que tout espoir n’est pas perdu parce que Bilbo n’a pas été capturé.

Le triangle amoureux n’est cependant pas né dès le début du travail d’adaptation puisque Evangéline Lilly avait demandé à ce que son personnage ne soit pas impliqué dans ce type d’histoire.
Le triangle a été ajouté tardivement, et tourné pendant les reshoots après le tournage principal, au grand dam de l’interprète.

Ne nous voilons pas la face, le personnage de Tauriel est un problème. Sur le principe, rajouter un personnage féminin imaginaire n’est pas une totale hérésie. Depuis l’année dernière, depuis même la genèse du projet « Hobbit » sur grand écran, on sait que le travail des scénaristes relève plus de la libre adaptation que de l’intégrisme révérant au livre de Tolkien : changement de ton, extension des intrigues vers les appendices…
Et surtout, nécessité de rallonger la sauce pour produire trois films de 2h40 chacun.
C’est en fait surtout le traitement qui pêche, sombrant dans les pires abimes de niaiserie où ce genre d’histoire peut aller se fourrer, occultant toute l’incongruité de pareille romance en la normalisant juste pour caser de la séquence galoche/émotion et ainsi, et c’est là le pire, vendre à ces dames de la ROMANCE, le seul truc qui visiblement nous intéresse en ce bas monde.
Aller tous vous faire cuire un œuf de dragon, je veux juste voir Thorin mettre des mandales dans la tête des orcs !

Histoire d’un Aller-Retour.

C’est presque avec tristesse que je renoue finalement avec cet état de fascination/répulsion qui a animé mes rapports avec la trilogie de l’Anneau pendant près de 10 ans. Je suis aujourd’hui beaucoup moins sévère sur la bilbologie que je ne l’ai été sur les trois films précédents, mais il n’en demeure pas moins un sentiment d’insatisfaction.

Si je ne peux nier ses immenses qualités de metteur en scène à Peter Jackson, si je ne peux réfuter le très bon travail d’adaptation et d’écriture du scénario, et la pertinence du casting, je ne peux toutefois pas m’estimer satisfaite devant des choses comme Tauriel, l’arc de Gandalf, la direction d’acteurs parfois limite, les inutiles longueurs à Esgaroth ou ce frakking Radagast.
Sans parler du fait que les elfes chez Peter Jackson ne me plairont vraisemblablement jamais.

J’oscille entre la reconnaissance d’une incroyable maîtrise technique, narrative, faisant de cette équipe la seule capable aujourd’hui de livrer les films d’heroic fantasy ultimes, et mon incapacité à composer avec ses partis pris.

Je reste encore dans cet entre-deux gênant, à ne pas pouvoir trancher entre « c’est nul », ou « c’est génial », parce que dans le fond, c’est très certainement un peu des deux.
L’expérience de la trilogie me fait cependant penser que le temps verra le génial l’emporter, et le nul alimenter ce sentiment d’affection que l’on ne peut entretenir que pour les choses imparfaites.

Note : **/*

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